Les yeux ouverts Propos sur le temps présent, Jean-Pierre Siméon, par Marie du Crest
Les yeux ouverts Propos sur le temps présent, Jean-Pierre Siméon, Le Passeur éditeur, mars 2018, 300 pages, 19 €
Poétiser et persifler
Je venais d’achever la lecture desBienveillantes, longue et éprouvante, traversant l’Europe orientale en guerre, l’Europe du dérisoire imperium nazi, jusqu’à Stalingrad, sous la conduite de Max le bourreau, de Max le fou. Je faisais des haltes : tout avait sombré dans le chaos de La Shoah. Le livre était aussi une marche.
J’avais ensuite lu une pièce d’un jeune auteur de théâtre qui me consterna. Il me fallait donc reprendre des forces, et ma foi, le volume de JP Siméon m’y aida dans son art de faire court, d’aller ici et là, en suivant l’itinéraire de ses Propos de quelques pages, écrits à des moments divers (on peut regretter ici l’absence des dates des rédaction précises pour chaque texte). Avec son art de persifler, de jouer à la fausse désinvolture, ponctuant son livre de la formule réjouissante : sans rapport avec ce qui précède / Quoique », JP Siméon me ramena au simple et beau plaisir de lire. Rouerie jubilatoire encore du faux vrai sage chinois, Tao Li Fu, qui à maintes reprises clôt un propos. N’est-il pas un double de JP Siméon, auteur duLivre des petits étonnements ? En effet la maxime morale irrigue poésie et méditation philosophique.
La première de couverture de la présente édition et l’éloge du peintre auteur du tableau illustratif, Pierre Eychart, au début du livre, nous introduisent dans la vie des cafés, des conversations autour du zinc si chères à l’artiste et à l’auteur, métaphore en quelque sorte du parti pris littéraire, du regard porté sur les choses. Dans son avant-propos, JP Siméon affirme qu’il s’engage à « tenir des réflexions, commentaires et points de vue sur le monde comme il va ». Il nous entretient ainsi aussi bien de littérature (surtout de poésie), de faits de société (parité homme-femme par exemple), de politique (communisme et nazisme, G8…). Il joue aussi sur la variété formelle propre sans doute à l’effet ici de recueil : éloge ; lettre ironique adressée au pape Benoît XVI ; évocation d’un voyage en Tunisie ou à Beyrouth et écriture poétique en prose souvent comme dans Petite célébration du rien. Tout au long des Propos, JP Siméon cite ou nomme ses frères et sœur en poésies dont Aragon, Andrée Chédid, René Char, Garcia Lorca, André Breton, Picabia, Michaux, Desnos, Eluard, Manuel Torga, Neruda, Reverdy, Hugo, Elytis, Pessoa entre autres. Le titre même du livre renvoie par exemple à une phrase de Reverdy :
« On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux » (p.103).
Ou à un passage de la Nuit respire :
« Croyez-moi tous ces gens ouverts autour de vous ont les yeux ouverts et pourtant petit à petit, sans s’en rendre compte, ils deviennent aveugles ».
En vérité, le volume rassemble, réunit les vanités du monde, ses turpitudes de toute sorte (de l’hégémonie du discours économique à la vitesse) et la poésie parce que celle-ci n’est pas ornement, mais qu’elle habite le monde en réinventant le langage normé, usé comme mort à lui-même. Le livre est un face-à face. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas par hasard que le dernier propos s’intitule « La question ne sera pas posée ou le poème interdit ». JP Siméon célèbre en quelque sorte le triomphe de la poésie.
Marie Du Crest
Jean-Pierre Siméon est né en 1950 à Paris. Agrégé de Lettres modernes, il a longtemps enseigné. Il écrit à la fois de la poésie, du théâtre, des essais, de la littérature jeunesse, des romans. Il a fondé à Clermont-Ferrand Le printemps des poètes. Ses œuvres nombreuses sont éditées notamment chez Cheyne et Les Solitaires intempestifs.
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