Les yeux bordés de reconnaissance, Myriam Anissimov
Les yeux bordés de reconnaissance, mars 2017, 237 pages, 19 €
Ecrivain(s): Myriam Anissimov Edition: Seuil
La frivolité et la superficialité sont-elles des attitudes adéquates, vraiment dignes lorsque l’on est parente de victimes de la Shoah, et que l’on a pour projet d’écrire ? Myriam Anissimov se trouve dans ce cas. Elle tente dans un très beau récit de formuler une réponse à cette question qui marque notre époque de son empreinte depuis 1945.
Le récit se compose de trois parties, d’intérêt inégal, mais illustrant ce mécanisme déclencheur de la volonté de savoir, et d’appropriation d’un événement. Au départ, c’est la vision du film Le Fils de Saul, évoquant l’extermination de quatre cent mille Juifs hongrois à Auschwitz-Birkenau et le rôle de Saul Ausländer qui décide de donner une sépulture à un adolescent déjà mort. Dès lors, c’est la recherche qui est de rigueur, le positionnement vis-à-vis de l’Histoire, de la Shoah, de la place que cette dernière va inévitablement tenir dans la mémoire personnelle de Myriam Anissimov. La première partie, consacrée à la relation qu’entretient Myriam Anissimov avec Romain Gary, est source de révélations très personnelles de la part de l’écrivain. Il avoue ainsi à Myriam ne s’être jamais remis d’un amour de jeunesse, Ilona, jeune femme qu’il avait revue, à ceci près que cette dernière ne l’avait pas reconnu.
Autre découverte de la part de Myriam : la présence d’un revolver au domicile de Romain Gary, l’arme avec laquelle il se suicidera quelque temps plus tard. Dans leurs échanges, le thème de la Shoah est abordé ; l’écrivain lui suggère de mettre « ça » de côté. Pourtant, Myriam Anissimov parvient à convaincre le lecteur que l’amour d’Ilona est peut-être à l’origine de ce geste, mais que le souvenir de la famille de Romain Gary, entièrement décimée, peut y être aussi pour beaucoup…
Dans la seconde partie, peu significative pour le récit, on retiendra que la rencontre avec le maestro Sergui Celibidache a marqué bien sûr la narratrice par le fait que ce célèbre chef d’orchestre, contrairement à Karajan ou Furtwängler, n’a manifesté aucune complaisance à l’hitlérisme et à ses affidés.
C’est la troisième partie qui est la plus émouvante : après avoir conduit des démarches auprès d’un organisme allemand, Myriam Anissimov acquiert la certitude que son oncle Samuel Frocht a été gazé à Sobibor en mai 1942. Déjà, un entretien avec son propre père avait situé son impératif futur : « Papa me demande en yiddish si je comprends ce qu’il vient de me raconter. J’aperçois furtivement des tas de cadavres. Je sens les pulsations de mon cœur dans ma poitrine, je comprends que, désormais, je fais partie de tout ça, DE TOUT ÇA ! ».
Ce récit n’est pas un livre de plus sur le poids de l’histoire, sur sa nature. C’est un témoignage plein d’émotion et de générosité, qui nous rappelle la proximité du Mal, son omniprésence, son voisinage. La dernière phrase du récit est éloquente à cet égard :
« Je me suis approchée de la vérité. Je suis pleine de reconnaissance. Le poison est entré dans mon sang ».
Stéphane Bret
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