Les Sœurs Livanos, Stéphanie des Horts (par Sylvie Ferrando)
Les Sœurs Livanos, novembre 2018, 256 pages, 19 €
Ecrivain(s): Stéphanie des Horts Edition: Albin Michel
C’est au monde des armateurs grecs du milieu du XXe siècle que s’attache ici Stéphanie des Horts, fidèle à son intérêt pour les classes dominantes et pour les folies et scandales qui jalonnent la vie des élites people, et qu’elle narre avec brio et vivacité. Pour une vie à deux cents à l’heure il faut un style vif et incisif, voire mordant.
Tout dans ce roman est construit en opposition : la brune et la blonde, le distingué et le vulgaire. Eugénie et Tina Livanos, filles de Stavros G. Livanos, dont l’empire de la navigation maritime est concurrencé par ceux des milliardaires Aristote Onassis et Stavros Niarchos, épousent chacune l’un des concurrents économiques de leur père.
Aristote Onassis, surnommé Ari ou Aristo, dont l’apparence de « métèque » contraste avec l’opulence de la fortune et l’extravagance des dépenses : « […] même en smoking, il a l’air d’un chiffonnier ». Stavros Niarchos, élégant, raffiné, qui « aime le calme et la distinction ».
De l’opposition à la rivalité, il n’y a qu’un pas. Celui-ci ne sera jamais franchi par les sœurs Livanos, qui pourront se jalouser, certes, mais resteront soudées. « Comme les déesses Artémis et Athéna, nous sommes unies contre nos maris volages », écrit Eugénie Livanos dans son journal en 1965. Des maris dont elles finiront par divorcer, tout en conservant ou tentant de conserver les paillettes, le champagne et le sens de la fête. Le plus longtemps possible elles lutteront pour que la légèreté ne cède pas la place à l’amertume.
De leur côté, Onassis et Niarchos rivalisent dans l’étalage du luxe et de leur train de vie effréné : un voilier, Christina O., pour l’un, une île grecque, Spetsopoula, pour l’autre. Ils rivalisent également en conquêtes amoureuses et sexuelles, dont les plus emblématiques seront Maria Callas, pour l’un, Charlotte Ford, pour l’autre. Au-delà des destins d’Eugénie et de Tina Livanos, filles et femmes d’armateurs grecs, c’est la fascinante vie d’Aristote Onassis qui capte l’intérêt du lecteur, son énergie insatiable et sa soif de pouvoir et d’expériences renouvelées. Le politique, l’art et l’argent se côtoient dans l’entourage de cet homme à l’ambition exceptionnelle.
Le cadre du roman, c’est la Méditerranée, les îles de la mer Egée et Ithaque ; l’intrigue pourrait s’apparenter à celle d’Homère, à son Iliade et à son Odyssée. Pâris, Achille, Hector, Pénélope, Hélène, Andromaque, Cassandre, Héra, Zeus ou Aphrodite, les personnages du roman de Stéphanie des Horts se glissent tour à tour dans le rôle de l’un ou de l’autre de ces héros homériques.
Tina se remarie avec Sunny, marquis de Blandford, un aristocrate anglais, et Onassis convole une seconde fois avec Jackie Kennedy. Il acquiert l’île de Skorpios, Tina finit par épouser le mari de sa sœur, après la mort accidentelle de celle-ci, et au grand dam de ses enfants. On tourne en rond dans cette valse des désirs et des caprices de nababs, on a le vertige, on est chez Hitchcock, c’est Vertigo, Fenêtre sur cour ou Le crime était presque parfait. Hécate et Thanatos se profilent. Si dans les grands espaces de l’opulence les rêves sont faciles, en revanche les fauves ne vieillissent pas ensemble et la vie ne fait pas de cadeau, même ou surtout aux magnats de la navigation maritime.
Epopée ou tragédie ? La légende des sœurs Livanos se mêle au champagne et au nectar des dieux, car « l’ivresse est fille de Dionysos, celui qui meurt et qui renaît sans cesse ».
Sylvie Ferrando
- Vu : 1910