Les Séquestrés, Yanette Delétang-Tardif (par Léon-Marc Levy)
Les Séquestrés, L’Arbre Vengeur, 4ème trimestre 2017, 140 page, 13 €
Ecrivain(s): Yanette Delétang-Tardif
Si ce court roman – son auteure est surtout connue pour son œuvre poétique – n’est pas à proprement parler épistolaire, il n’en est pas moins scandé, structuré par des missives. Adressées à Gilbert par Barbara. Mais Gilbert ne sait pas qui est Barbara ; il ne l’a jamais vue, n’en a jamais entendu parler avant de recevoir sa première lettre. Elle se dit séquestrée par un homme, quelque part du côté de Quimper. Peu à peu, lettre à lettre, le trouble gagne Gilbert. Plus que le trouble, une fascination vénéneuse qui ressemble à l’amour fou.
Yanette Delétang-Tardif construit son roman sur le fondement même de la mythologie de l’amour en Occident. Il est le lien indestructible qui unit l’un à l’absent. Gilbert aime Fanny – jolie, intelligente, amoureuse de lui –, vient alors l’absente, l’impossible amour avec Barbara, celle qui est de l’autre côté de la parole écrite. A chaque lettre, Gilbert aime moins Fanny, fasciné par l’amour de celle qui n’est pas là, de celle dont il ne sait même pas si elle existe et, au cas où elle existerait, qui elle est. Au début les hypothèses défilent. Une folle ?
« L’idée d’avoir affaire à une folle ne me vient pas à l’esprit. L’écriture est magnifiquement saine, directe, chaude comme un corps ».
L’écriture de Yanette Delétang-Tardif est ensorceleuse, porte la tension de l’énigme à ses extrêmes, joue sans cesse avec les interrogations du lecteur. Son monde est à la limite du fantastique, donnant à tout le récit une coloration baroque digne des Mary Shelley ou Edgar Poe. On pense aussi aux contes fantastiques de Guy de Maupassant, le Horla ici, étant celle qui écrit et qui est peut-être moi. Même les tableaux du monde semblent animés d’une existence surréelle.
« Je vis le champ. Quel spectacle ! Des milliers de mouettes le recouvraient. C’était un océan d’oiseaux. Ils formaient des couches, des vagues si épaisses que l’on n’apercevait plus un brin d’herbe. Un grouillement d’ailes, de plumes, de becs, une énorme neige qui bruissait à m’assourdir. Il me sembla, avec stupeur, que le sol se soulevait, chancelait, que la horde d’oiseaux allait arracher la terre tout entière et la verser dans le vent ».
La nouvelle passion de Gilbert l’habite peu à peu tout entier. Il pose là la dépouille amoureuse de Fanny et se couvre des oripeaux de ce fantôme nommé Barbara. Ce désir nouveau est comme une maladie. Il est le désir absolu, celui qui – nous apprend Freud – n’a pas d’objet réel. Un désir de désir. Le trait de génie de ce roman est d’associer l’absence à l’écriture – l’Autre n’est qu’écriture.
« L’amour a pris pour moi les traits d’une écriture et d’une absence. Ce qui apparaîtrait à des témoins comme un jeu maladroit, mal ajusté ou truqué d’avance, m’habite maintenant corps et âme. Je me suis créé une image, à travers celles que Barbara me trace. Et l’image est abîme ».
Poe encore, tant ce roman a des aspects d’énigme policière, à la façon de La Lettre Volée, énigme opaque qui obsède le lecteur jusqu’à son terme. Son terme ? Il est énigme encore plus vertigineuse. Nous n’en dirons pas plus. Sauf que ce court roman est un haut lieu de la littérature.
Léon-Marc Levy
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