Les Rois d’Islande, Einar Már Guðmundsson
Les Rois d’Islande, février 2018, trad. islandais Eric Boury, 336 pages, 21 €
Ecrivain(s): Einar Már Guðmundsson Edition: Zulma
Pays qui fascine du fait de son éloignement géographique et ses paysages uniques, l’Islande reste encore une nation étrangère à nos yeux. Un de ses ressortissants, Einar Már Guđmundsson, écrit sa légende et fait de cette île singulière la patrie des rois. En faisant se succéder histoires truculentes et anecdotes farfelues, il attribue une origine mythologique à ses personnages qui est empreinte de fantaisie et de trivialité.
Les Islandais, fiers de leur identité, s’emploient à « faire remonter leur lignage jusqu’aux rois des sagas légendaires, aux rois des mers ». De la même manière, le narrateur des Rois d’Islande est à la recherche de l’origine de la famille Knudsen. La part accordée à la fiction prime tout au long du récit : on se demande tout le temps si le narrateur n’affabule pas tant les histoires racontées semblent loufoques et cocasses. Peut-être ne fait-il que rêver cette famille héroïque ? Il cite Steinn Steinarr (poète islandais ayant véritablement vécu dans la première moitié du XXe siècle) et on a envie de le croire :
Dans le rêve de tout homme est embusquée sa chute.
Tu traverses une forêt étrange et peuplée d’ombres
constituées d’illusions engendrées par ton âme
derrière le calme froid de la réalité.
Ton rêve possède le pouvoir immense
de créer sa vie indépendante, et il te menace.
Il croît et s’élève entre toi et ce qui vit,
sans que nul puisse cerner la nature de cet entre-deux.
La famille Knudsen, composée de nombreux tentacules qui touchent tous les secteurs de la société, apparaît comme un emblème national. Elle compte dans ses rangs un idiot (Einar), un professeur fascinant (Arnfinnur) entre autres. Personnages hauts en couleurs, les Knudsen sont capables de se métamorphoser au sein de leur existence : Ástvaldur est tout à la fois armateur, capitaine et pécheur. L’Islande apparaît ainsi comme un pays merveilleux où tout est possible, où les inégalités sociales n’existent pas – elles ne sont pas perçues par les Islandais.
Dans ce portrait aussi onirique que décadent, l’ironie du romancier se fait mordante. On aperçoit la désillusion apportée par l’inflation capitaliste tout autant que la prétendue perfection de cette île (dont il n’est pas peu fier). Les informations données sur le pays manquent de fiabilité et sont données au compte-goutte. Ce qui l’emporte, c’est le plaisir du narrateur de partager les anecdotes qui lui ont été transmises par Arnfinnur, le fabuleux professeur à tout faire. L’image d’Epinal des Islandais est à la fois renforcée et mise à mal : on y trouve des chasseurs rustres capables de confondre un mâle à la pilosité élevée avec la fourrure d’un renard et de lui tirer dessus. Les Rois d’Islande ne livrent peut-être pas un portrait bien fidèle des Islandais mais il colporte les histoires farfelues de cet héritage fantasmatique et donne vie aux personnages qu’on peut croiser sur cette île (ou plutôt dans l’imaginaire de l’écrivain).
Grégoire Meschia
- Vu : 2785