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Les poèmes sans fin - à propos de Ceux qui s’éloignent, de Serge Meurant

Ecrit par Didier Ayres le 22.08.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Les poèmes sans fin - à propos de Ceux qui s’éloignent, de Serge Meurant

Ceux qui s’éloignent, de Serge Meurant, éd. Le Cormier, Bruxelles, 2016

J’ai choisi de titrer ma chronique sur le dernier livre de Serge Meurant, avec cette locution, « poèmes sans fin », car elle figure bien l’ensemble de mon point de vue. Au propre, ces poèmes ne finissent pas et ne sont pas ponctués de point finaux, mais par contre s’ouvrent sur un surcroît où le lecteur reste en suspens dans l’air au milieu de la phrase, juste en équilibre sur le dernier vers, et déjà penché sur le premier vers du poème suivant. D’ailleurs cette impression de quelque chose qui ne finit pas, s’accentue dans le vers du dernier poème du recueil qui laisse le lecteur aux prises avec des gestes nouveau-nés qui closent sans point final, qui ferment l’ouvrage sur un halètement – ou allaitement d’ailleurs.

Et encore, un « sans fin » au figuré. Car si j’ai bien compris le fond du livre, il s’agit pour le poète de dire quelques mots aux absents, à ceux qui se sont éloignés dans la mort, mais qui ne s’oublient pas. Ces disparus laissent une empreinte dans la mémoire du poète, et grâce à lui revivent une seconde vie, renaissent en un sens. Il ne s’agit plus dès lors que de décrire en quoi ce qui reste est susceptible de faire matière à la combustion d’une sorte de Phoenix. Où la mort n’est pas une fin, mais une frontière que le travail d’écrire transgresse et améliore. Poèmes pour autrui, pour un autre post-mortem.

Que demeure

la douleur du regard

intacte cachée

comme le corps blanc

que la mort se réserve

elle appartient

à l’héritage intime

non à la déchirure

du partage

Nous assistons à un balancement dans l’ignition, dans le feu et la cendre, et même, entre le feu et la cendre, entre ce qui est vif et ce qui laisse une trace, la mémoire, affaire d’indice, de trace et d’empreinte, et à la lutte pour le souvenir. J’ai pensé un instant choisir un autre titre pour recouvrir cette idée qui me semble centrale par ces mots : « des poèmes entre le feu et la cendre ». C’est bel et bien la pierre et la flamme qui honorent les morts, par exemple un peu à la manière de Hanoucca ou du Kaddish Yatom dans le registre religieux juif.

Je cherche à saisir

l’élan de cet instant dernier

où s’accélèrent les images

s’il fallait tracer

l’archée

de la naissance à la mort

tu me dirais que la vitesse

dévorante et l’impatience

d’un incendie très haut

Importance aussi du visage, qui reste la partie la plus sensible dans la mémoire que l’on peut avoir d’un défunt. On se souvient sans doute des visages des morts car ils incarnent ensemble le mystère de l’être et son expression la plus nette. Donc, à la fois décidant de l’identité d’un soi et recueil de l’altérité, ou de la propre altérité à soi-même. Je vois dans le visage un principe éthique (souligné notamment pas Emmanuel Levinas), la part de responsabilité de soi pour ce soi-même comme un autre. Ce thème m’intéresse depuis longtemps, et j’ai à ce sujet à moitié inventé le terme de « visagéité » pour suggérer tout ce que recèle de mystère – et d’inclination philosophique – le visage d’autrui, et peut-être encore, l’écho narcissique de son image spéculaire personnelle. Du reste, j’ai reçu deux autres beaux recueils de textes de Serge Meurant, qui portent les deux titres respectifs, Un visageet Dévisagé, recueils plus anciens édités par le même éditeur belge, Le Cormier.

Pour conclure trop hâtivement sans doute cette courte étude du dernier ouvrage de S. Meurant, il me faut quand même dire quelques mots à propos de la présence forte de cette poésie presque froide, peu adjectivée, et qui laisse les morts en partage à ceux qui restent. Cette langue très simple, au vocabulaire générique, pousse d’autant la signification et correspond peut-être à une sorte de moment de la vie du poète, en sa qualité génésique, c’est-à-dire le moment où la langue saisit sa propre génération. Je note cela en souvenir du défunt Alain Suied qui, peu de jours avant sa disparition, me disait quelques mots à ce sujet, et m’invitait à réfléchir sur la question génésique du langage. Or, la maturité de Serge Meurant touche en un sens à cette question.

Celui qui hurle

en son sommeil

celui que le cri obstrue

dont la violence implose

ne l’abandonne pas

à l’étreinte mortelle

saisis sa nuque

ramène-le vivant !

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.