Les Pleurs, Marceline Desbordes-Valmore (par Didier Ayres)
Les Pleurs, Marceline Desbordes-Valmore, Garnier-Flammarion, septembre 2019, présentation Esther Pinon, 304 pages, 9 €
Cendres
L’édition des Pleurs de Marceline Desbordes-Valmore publiée grâce au travail d’Esther Pinon chez Garnier-Flammarion s’organise en deux temps : tout d’abord la présentation des textes de la poétesse douaisienne et un appareil critique très fourni, ce qui met ce recueil à portée des étudiants, et de l’autre, le corps du texte qui paraît en 1830, année charnière du romantisme. Est-ce l’expression de ce que Verlaine appelait une « poète maudite » ? Quoi qu’il en soit, c’est un livre important et qui a fait réagir de grandes figures des lettres françaises, à l’instar de Lamartine par exemple.
Du reste, la langue, ici, est soutenue, faisant référence à l’univers personnel de la poétesse, en ne négligeant rien d’une versification savante et audacieuse. Et encore, sur des thèmes variés, seulement liés par le principe des larmes. Ainsi, que l’on déplore avec l’écrivaine l’ancien amour perdu et devenu impossible, autant que des sujets plus factuels, tout y est d’une même intensité, même si le premier tiers de l’ouvrage est plus tendu vers un but : magnifier l’amour par les larmes. C’est d’ailleurs cette partie qui m’a beaucoup intéressé et motivé à parcourir ce recueil devenu historique.
Cette édition d’Esther Pinon souligne souvent dans son escorte scientifique de notes et de commentaires la relation biographique justement avec cet homme que Desbordes-Valmore déplore, et sur lequel son amour plie encore ; en ce sens, ce recueil est une espèce de consolation. Cette histoire sentimentale de l’autrice avec cet homme devenu impossible fait le lit d’un malheur entretenu pour nourrir le feu du poème. Rien là n’est superficiel, ni mimé, ni mensonger. La vraie histoire d’amour intime rejoint le drame presque lyrique de cette perte. Le feu couve encore sous les cendres. L’amour devient et persiste à être un amour lyrique et romantique, mais sans emphase inutile, sans surplus de signes. Ce sont les cendres qui intéressent Marceline, et la force rendue poétique de cette combustion.
Ce que j’ai dans le cœur, brûlant comme notre âge,
Si j’ose t’en parler, comment le définir ?
Est-ce un miroir ardent frappé de ton image ?
Un portrait palpitant né de ton souvenir ?
L’amour de cette femme complexe et raffinée se développe au passé, en occupant le présent et le poème qui l’accompagnent, d’une force d’inertie, de la puissance d’hier, de la force postérieure d’un amour déçu. D’un hier, donc, où la biographie correspond à d’anciennes braises qui ne comptent plus aujourd’hui que par la description des cendres, de ce qui fut. Je sais, de mon côté comment pleurer est une situation presque mystique. Je sais ce qu’est le tribut des larmes. Donc, je vois la vérité de cette souffrance particulière des sanglots, et ce prix qu’il faut acquitter pour poursuivre son chemin.
La réitération des souvenirs, donc de l’amour enfui, s’articule en répétant les doléances et ainsi, les occasions de pleurer. Bizarrement, l’amour et la douleur participent du même élan, sont évoqués dans le poème à égalité, feu et cendres confondus. Joie et douleur fusionnent. La paix côtoie le souffrir, et souffrir d’amour est ce qu’il y a de plus riche pour le poème. Car Marceline s’appuie jusque sur la mort, avec lucidité, en empruntant de la beauté aux images romantiques du désir, lequel reste en même temps invincible et vaincu.
Oui ! le dernier adieu d’une lyre expirée
Sonne le rendez-vous pour un autre avenir ;
Il tinte une prière ! une plainte sacrée,
Qui roule avec tristesse au fond du souvenir !
Ou
Tais-toi, ma sœur ! le passé brûle.
Son nom, c’est lui ; ne le dis plus :
Se reprendre à des biens perdus,
C’est marcher au flot qui recule.
Empreint d’une ardente douceur,
À peine effleure-t-il ma bouche,
Comme une flamme qui me touche,
Ce nom brûle… Tais-toi, ma sœur.
Ainsi, on croise parfois des accents de Hugo, ou plus sûrement de Gauthier, et avec eux le lien qui va se constituer littérairement entre 1830 et 1857, quand paraissent Les Fleurs du mal. Car pour finir, l’amour de Marceline Desbordes-Valmore est moderne. Il est fait de la plus inquiète des matières façonnant un portrait de l’amour d’un temps nouveau, et qui aujourd’hui ne dépareille pas. Car la poésie est par essence, encore maintenant, un signe écrit de l’abandon. Ou de la perte. Donc, des cendres.
Didier Ayres
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