Les Petits métiers méconnus, Vincent Zabus & Collectif (par Didier Smal)
Les Petits métiers méconnus, Vincent Zabus & Collectif, éditions Dupuis, octobre 2024, 128 pages, 25 €
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Dès la découverte des Petits métiers méconnus publiés dans l’hebdomadaire Spirou (lu religieusement chaque semaine en famille, de neuf à cinquante et un ans), c’est la poésie existentielle de ces brèves histoires qui a saisi. On attendait avec impatience la prochaine, pour se laisser aller au ravissement d’un beau métier, l’un de ceux qu’on aimerait soi-même pratiquer – et peut-être le pratique-t-on sans le savoir, dans nos meilleurs jours, ceux où nous nous laissons aller à aimer notre prochain et vouloir son bien, mais sans effort, mais avec naturel, juste par désir. Feu un ami disait souvent, en guise de boutade, qu’il aurait aimé être « professeur de gymnastique mentale » : il l’était à certains égards. Et vous, qui lisez ces lignes, parmi vos proches, dans les lieux publics ou sur votre lieu de travail, quel métier méconnu vous arrive-t-il de pratiquer ? Peut-être suis-je moi-même « incitateur à la résistance au laid par le bleu » lorsque je fais lire Les Cerfs-volants de Romain Gary à mes élèves ? Le plus beau est que nous pratiquons probablement un métier méconnu sans le savoir, sans en être conscient, sans que nous sachions jamais les belles traces qu’aura laissées notre pratique derrière nous.
Cette bande dessinée se présente comme un récit encadré : les quatre premières planches montrent une jeune femme se rendant au Pôle Emploi de sa ville et prenant en main Les Petits métiers méconnus, le lisant pour patienter avant que soit appelé son numéro. Elle entame une lecture, la nôtre, qui va l’inspirer et la libérer : aux deux dernières planches, elle quitte en courant les bureaux du Pôle Emploi lorsque est appelé son numéro, courant dans la rue en se demandant quel métier elle pourrait pratiquer : « Je serais quoi, moi… Trafiquante de miroirs ? On se trouverait jolis en se regardant le matin ! Ou Affichiste de bonnes nouvelles… Ensableuse de ville, plutôt… Je mettrais du sable partout pour créer des ponts entre différents quartiers. Non ! Dompteuse de cauchemars… Ou Listeuse de chose essentielles… ».
Mais qu’est-ce qui a bien pu la libérer ainsi de la recherche d’un « vrai job » ? La confrontation à quatorze suggestions toutes plus poétiques les unes que les autres, racontées sans nulle emphase, sans aucun effet de manche, à l’image de la couverture, qui montre le « Marieur d’ombres » avec sobriété et bonheur : un allumeur de réverbères souriant (hommage à Saint-Exupéry ?) fait en sorte que les ombres de deux passants, un homme et une femme marchant pressés dans deux directions opposées, se rencontrent et s’enlacent – hommage à toutes ces rencontres qui auraient pu, voire dû avoir lieu si les regards s’étaient croisés. Le reste est donc à l’avenant, servi par un graphisme diversifié bien que l’on soupçonne les quinze illustrateurs d’avoir fait un pas vers une forme d’homogénéité bigarrée. L’on croise ainsi « Le Balayeur de regrets » (avec cette belle leçon : les meilleurs regrets sont ceux que l’on s’évite, autant se jeter à l’eau – ou au cou de l’autre), « Le souffleur de rues » (ou l’art de la citation au secours de la crainte de parler), la jeune mais ô combien émouvante « Restauratrice de souvenirs » (Proust aurait adoré), le puissant mais indispensable à toute rencontre « Faiseur de brume », l’indispensable « Marchand de gros mots » (ou comment, dans une époque policée, cela fait du bien de se lâcher et permet de restaurer certains liens), celui qui ouvre enfin les yeux sur le monde et devient « Raconteur de rue » ou, un métier que pratiquent peut-être certains libraires en douce, « La Vendeuse d’invendus ».
Ce sont quatorze idées certes un peu naïves, destinées à faire du bien plutôt qu’à faire réfléchir – ou alors, par la bande, par le rêve. Écrites sous forme de nouvelles, ces quatorze idées tomberaient à plat, on les verrait bien jaillissant de la plume d’un de ces auteurs ou une de ces autrices à la mode, qui servent du bon sentiment à la louche au détriment de toute diététique. Transformées en brèves, huit à dix pages, histoires dessinées, ces idées deviennent de purs moments de magie. Et autant d’incitations à d’autres idées.
Et vous, quel sera votre « métier méconnu » ?
Didier Smal
Vincent Zabus (1971), ex-prof de français belge, devenu comédien et auteur de théâtre, a publié quelques histoires courtes dans l’hebdomadaire Spirou avant de lancer le projet des Petits métiers méconnus.
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