Les petites consolations, Eddie Joyce
Les petites consolations (Small Mercies), avril 2016, trad. américain Madeleine Nasalik, 476 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Eddie Joyce Edition: Rivages
Depuis le 11 septembre 2001, New-York est devenue une Cité bâtie autour d’un gigantesque trou. Réel, symbolique, béant. Le trou que les newyorkais ont nommé Ground Zero mais aussi et surtout le trou, irréparable, que ce jour insensé a laissé dans les cœurs, les esprits, les âmes, dévastant à jamais les familles touchées et les habitants de la grande famille que – malgré le gigantisme – constitue la Grosse Pomme.
La famille Amendola, depuis 10 ans vit aussi autour d’un trou. Pas même celui qu’ils auraient dû creuser pour y enterrer Bobby, le plus jeune fils, pompier mort ce jour maudit dans l’effondrement de l’une des tours jumelles. Ils n’ont pas même pu : il ne restait rien de Bobby, juste un nom sur un mémorial et les souvenirs de ses parents, ses frères, sa femme.
Ce livre raconte la famille Amendola dans l’après, avec quelques flash-back, ceux qui, dans la mémoire des siens, font revivre un Bobby jeune, honnête, bon, attachant.
Que les tenants rigides de la « grande littérature » s’abstiennent. Eddie Joyce est un « teller », dans la grande tradition américaine, celle de Steinbeck autrefois ou, plus près de nous, celle de Richard Russo. On pense aussi, c’est irrésistible au superbe roman de Stewart O’Nan, Nos plus beaux souvenirs (1). Les Petites consolations est passionnant de bout en bout, véritable page-turner, à la façon des séries qui nous tiennent par les personnages et l’invincible curiosité de savoir quel sera leur destin. Non, ce roman n’est pas écrit dans un style éblouissant, mais avec un art de la narration, un génie de la structure tels qu’il entre, sans conteste, dans la belle littérature d’Outre-Atlantique. Et tant pis pour les pisse-vinaigre, les lecteurs se régalent. D’autant que la traduction française, signée par Madeleine Nasalik, est fluide et confortable.
Staten Island. Prononcez, conseille Eddie Joyce, State Naïland (State Nisland), pour happer le premier mot et accentuer le second. Une île, et les habitants, dont les Amendola, tiennent à ce que ça reste une île. Même la construction du pont Verrazano (vous savez, celui qu’on voit souvent dans La Fièvre du Samedi soir ?) dans les années 60 avait chagriné les autochtones. La peur de « l’invasion » des citadins de Brooklyn – ironie des choses, Staten Island est peuplée d’immigrants ! Eddie Joyce n’en remet pas avec le folklore italo-newyorkais. Bien sûr, les allusions aux Affranchis (2), à Scorsese, aux pizzas et aux spaghettis sont fréquentes, mais le roman se tient à distance du cliché, attaché plutôt à la particularité de chaque personnage et, au-delà, du cœur des hommes.
Et l’un des personnages, omniprésent, c’est NY, bouillante et tentaculaire, dans laquelle chaque déplacement en voiture est une sorte d’aventure dont on n’est pas tout à fait sûr de sortir.
« Le trafic devient plus dense dans la montée de la Brooklyn Queens Expressway, à l’entrée du Battery Tunnel, et les quatre voies se transforment en champ de bataille ; les voitures tâtent le terrain, manœuvrent et cherchent à s’agréger dans un goulet d’étranglement réduit à deux voies. En semaine les esprits s’échaufferaient mais le samedi soir les conducteurs sont plus patients. New York se déploie sous les regards et ils ont toute la nuit devant eux ».
Et toujours, comme un vortex qui aspire tout, le trou béant qui ordonne la ville :
« Ils vont rouler sur la voie express et voir un grand vide. Elle va détourner le regard, pour ne pas l’avoir sous les yeux, pour s’épargner ce spectacle ».
Ce livre touche et touche juste, là où se tissent nos vies quotidiennes, dans l’amour, la trahison, l’erreur, la réussite, la faute, la rédemption. La petite tribu Amendola ressemble à des millions de petites tribus et en cela nous arrache des sourires, des joies, des coups de blues profonds, comme s’il s’agissait de nos vies même.
Laissez-vous porter par les Amendola, ils sont tellement attachants !
Léon-Marc Levy
(1) Editions L’Olivier 2005. Editions Points octobre 2006.
(2) Les Affranchis (Goodfellas) est un film de gangsters américain réalisé par Martin Scorsese, sorti en1990. Le film est basé sur le livre Wiseguy, de Nicholas Pileggi, sorti en 1986, racontant l’histoire vraie de Henry Hill. Pileggi participe à l’écriture du scénario avec Scorsese. Le film retrace la montée et la chute d’associés de la famille Lucchese, Henry Hill et ses amis, couvrant une période de 1955 à 1980
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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