Les Patientes, Sarah Stern (par Yasmina Mahdi)
Les Patientes, Sarah Stern, éditions Des femmes-Antoinette Fouque, septembre 2024, 232 pages, 15 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
Les malades des minorités
« Étrangères souvent dans cette banlieue pauvre, enceintes, des femmes sans doute n’allaient pas bien, qui souffraient de l’exil, de l’isolement, du dénuement, de traumatismes et d’autres maux encore ». C’est là la substance du récit et de l’expérience de Sarah Stern, née en 1967, psychiatre et psychanalyste, qui a travaillé dans un intersecteur de pédopsychiatrie à Saint-Denis, auprès d’enfants et d’adolescents, au sein d’une maternité. Les soins sont prodigués en compagnie d’un collectif pour les malades issus des minorités, c’est-à-dire des « migrantes » (nouveau terme pour les immigrées).
L’exil ne se transmet pas, il est inscrit dans la chair comme une marque indélébile. Sarah Stern va rendre compte de la réalité des invisibilisées de la ville de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, ville pauvre, ville historique, « ville de passage ».
Des femmes, parfois très jeunes, se retrouvent enceintes (sans consentement ou violées), dans un déni de grossesse et un dénuement complet. L’autrice nous informe que le chaos règne près de la bretelle d’autoroute qui mène à Saint-Denis, mais c’est surtout le manque de communication qui frappe la jeune psychiatre dès sa première rencontre au sein de l’hôpital. Alentour, le vandalisme est partout, vitres brisées, routes défoncées : le signe de la pauvreté. Les problèmes se cumulent, souvent doublés d’une non-maîtrise de la langue française. Même les ressortissants des contrées francophones se trouvent sous la tutelle d’une famille, d’une religion, de coutumes, en plus de souffrir de graves problèmes économiques. Certaines mères ploient sous le poids des maternités.
« Légation, confiance et éthique seraient ainsi les ingrédients essentiels de la relation médecin-malade. La maladie confère un “statut communautaire” aux patients qui revendiquent alors la même reconnaissance que celle attachée à tout autre statut minoritaire social, ethnique ou religieux » [Claude Le Pen, Les nouvelles figures du consommateur de soins, Cairn]. Néanmoins, pour les enfants nés sur le territoire français, « les enfants [qui] n’étaient jamais allés au pays », l’inscription au pays parental n’existe pas, hormis dans un récit rapporté et figé ; l’appartenance clanique est alors vide de sens. À travers plusieurs études de cas, Sarah Stern entreprend de guérir la somme des traumatismes psychiques de ces femmes – nommées uniquement par une lettre de l’alphabet, au vu du secret médical et de leur dignité –, et de leur permettre de s’adapter, de s’autonomiser et de nouer un échange sain et protecteur avec leurs enfants. La praticienne découvre la « condition de l’étranger », mais affirme qu’« une chose est partagée par tous, c’est le pouvoir de réparation du dire vrai ». Et de mentionner : « À l’hôpital, il n’était pas question de cure à proprement parler, mais la question de la vérité se posait toujours ».
Pour ces étrangères, nouvelles venues, accablées par le poids des traditions, apeurées face aux questions taboues des institutions et des organismes d’Etat, il s’agit d’envisager une prise en charge, non pour condamner, mais pour réparer des patientes qui « ne vivent pas dans une société de droit ». La parole est alors primordiale, permet de nommer le non-dit, le caché, afin de se délivrer de l’angoisse. Ainsi, l’autrice compare la situation et l’aliénation de ces migrantes contemporaines aux femmes européennes brimées du 19ème siècle. Elle dénonce l’abandon de l’Etat, son désistement coupable qui entrave la bonne marche de la médecine publique, prive les malades d’assistance et de soins adaptés et spécifiques à chaque individu, en réduisant de plus en plus le nombre de personnel soignant. La psychiatrie est le parent pauvre de la médecine.
Ce témoignage fort, écrit avec sensibilité et justesse, permet également à Sarah Stern de faire retour à ses propres origines sémites, redévoilées par « cette impression de déjà vu, déjà connu (…) des images d’enfance intactes » – un refoulé ? Créer du lien avec des personnes totalement déconnectées, errant d’hébergements précaires en séjours hospitaliers, parfois jetées à la rue, est une gageure. Et c’est durant 12 ans que Sarah Stern a cherché des solutions pour ces mères en rupture communicationnelle et sociale, afin qu’elles et leurs enfants s’accomplissent dans une sécurité, une joie de vivre et de partager.
Yasmina Mahdi
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