Les Parisiens, Olivier Py
Les Parisiens, août 2016, 544 pages, 22,80 €
Ecrivain(s): Olivier Py Edition: Actes Sud
Le roman d’Olivier Py est construit, un peu à la manière de scènes de théâtre, sous forme de tableaux, lieux géographiques (Le château, L’église…) ou thématiques (La guerre, Deux femmes…), coups de projecteur sur des rencontres, des conversations, des pensées intérieures.
Deux personnages, Aurélien et Lucas, jeunes Rastignac du XXIe siècle, incarnent les deux tendances antagonistes mais réductibles d’Olivier Py : le libertaire et le sacré. L’une comme l’autre transcendent la mort et se rejoignent dans l’Art, le théâtre, la musique, la poésie : « Oublier la mort, oublier que l’on va mourir, vaincre, triompher […] croire à son destin et ridiculiser la mort ». Aurélien le solaire, tourné vers la vie, le plaisir et la fête, s’oppose à Lucas l’ombrageux, qui lutte et se débat contre des forces obscures.
Autour d’Aurélien, deux univers gravitent et se mêlent par épisodes : d’une part, le milieu de la politique et de la culture, où se cotoient les pires stratèges et les coteries qui s’opposent, se méprisent et se livrent une guerre sans merci ; d’autre part, une joyeuse bande de révolutionnaires, transsexuels, homos, lesbiennes, qui défendent, en mots et en actes, les droits et la liberté des « travailleuses du sexe » et inventent le terme de « putitude ».
Le roman d’Olivier Py est aussi un roman à clef : qui est Ferrand, le ministre de la culture, monarque déchu en fin de règne ? On pense à Frédéric Mitterrand, mais est-ce bien seulement lui ? Alors que des complots s’ourdissent dans l’ombre des palais parisiens, qui représente les deux candidats à la direction de l’Opéra de Paris, ennemis acharnés, l’un et l’autre prêts à trucider moralement et idéologiquement son adversaire ? Quel secret anime leur désir de vengeance ? Qui est Milo, chef d’orchestre de réputation internationale arrivé au faîte de sa gloire et organisateur de fêtes somptueuses et orgiaques ? Qui se cache derrière Jacqueline la manipulatrice, qui aime à tirer les ficelles du destin de ses protégés, qui, derrière la Grande Catherine, sociétaire de la Comédie française sur le déclin ?
Pour complaire au petit univers de la rue de Valois, le style se fait précieux dans les descriptions, alternant avec les tirades enflammées des personnages exaltés : « les intérieurs d’or, d’azur, de cramoisi et de céladon vibrent et s’anamorphosent dans les irrégularités de la transparence » ou « Et cette soirée est l’épouvantable Jugement dernier qui va rejeter les inutiles dans la géhenne, et aspirer dans sa radieuse gloire les futurs puissants et les incontestables mandarins ».
Les Parisiens, c’est ce monde de la nuit qui veut croire que la culture est la voie du pouvoir et la source du plaisir érotique. Les plus jeunes travaillent pour la gloire et la révolution, à coups de mots d’ordre emphatiques, les plus âgés cèdent à la vanité et combattent un lucide désespoir. Mais plus que tout, de part en part du roman c’est le sexe qui est partout présent, brandi comme une arme joyeuse, le sexe nu, ouvert et sans entrave, le sexe comme instrument de libération, le sexe LGBT des alcôves, chambres d’hôtels, backrooms de boîtes de nuit et bordels, le sexe jusqu’à l’extase, le dégoût ou l’oubli.
Sylvie Ferrando
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