Les parapluies d’Erik Satie, Stéphanie Kalfon
Les parapluies d’Erik Satie, février 2017, 216 pages, 18 €
Ecrivain(s): Stéphanie Kalfon Edition: Joelle Losfeld
Faune énigmatique, tour à tour naïf ou malin, malicieux sans aucun doute, original et décalé, doté d’un humour incompris qui ne faisait rire que lui et peut-être un de ses rares amis, « Claude Debussy [qui] perçut immédiatement en lui un égaré de ce siècle », avec lequel il se lia, autre délaissé en son temps, autre génie novateur, Erik Satie incarne parfaitement l’artiste génial à l’art sautillant, enfantin, mais malheureux et mal aimé comme le sont souvent les véritables artistes. Mal dans son temps, mal dans sa peau, excentrique, marginal, incompris, perçu comme fou, fumiste, fantaisiste, raté, aigri, maniaque, clown, etc.
Stéphanie Kalfon signe là un portrait en forme d’hommage à ce génie musical dans un roman biographique empreint de poésie et de magie.
Les parapluies d’Erik Satie s’ouvre sur une exergue troublante en forme d’épitaphe de Jean Wiener : « La première fois où il entra dans la chambre d’Arcueil où Satie trouva la mort (à moins que ce ne soit l’inverse) ».
L’incipit qui vient tout de suite après ce titre Et cela me fit une grosse peine, phrase reprise au milieu et à la fin, que l’on peut attribuer à Erik Satie et qui résume à elle seule toute la tristesse de ce personnage qui boit pour oublier qu’il est « un être humilié, rejeté, moqué et sans le sou », nous fait pénétrer un monde silencieux et mélancolique empli de poésie et d’incertitude. « Les gens tristes sourient souvent, possible oui, possible ». Un « possible oui, possible », repris à maintes reprises, tout au long du récit comme un constat de notre incapacité à définir et à comprendre ce monde dans lequel on vit, qu’on le traverse heureux ou malheureux… quand « partout c’est l’hiver », pour les gens tristes, tristes comme l’était Erik Satie. La douceur qui enveloppe le texte délivre une poésie et un imaginaire tendre à chaque page, la récurrence des jours gris laiteux « comme d’habitude », re-duplique le climat intérieur du personnage. Mais ne vous y trompez pas, ce n’est pas un livre triste, c’est un livre léger, pétillant, drôle parfois, émouvant toujours et qui nous met en empathie avec ce drôle de personnage aux quatorze parapluies, tous noirs. Ses très rares amitiés, ses œuvres sont abordées avec le même ton désinvolte et enjoué malgré la solitude et la tristesse ; son enfance, sa mère Jane, son frère Conrad, son père, sa petite sœur Olga, le bébé Diane dont « le petit corps de poupée ne respire plus. Nous non plus, pense Erik, on ne respire plus. On a perdu notre petite sœur. Et Jane rayonne d’une blancheur infranchissable. Dans la gorge de Mummy, les mots sont lents comme des escargots. Ils piétinent, ça fait un rythme bizarre, une éternité qui se serait perdue dans une poignée de secondes ».
… des êtres ordinaires mais prégnants dans la formation de la personnalité de ce musicien hypersensible et éternel enfant, un artiste que « Cocteau, qui s’effondra en larmes le jour de sa mort, avait déchiffré, très clairement : sa musique, comme lui, est un aspect de la conscience moderne, traduite en son ».
Marie Josée Desvignes
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