Les obus jouaient à pigeon vole, Raphaël Jerusalmy
Les obus jouaient à pigeon vole, éd. Bruno Doucey, février 2016, 177 pages, 15,50 €
Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy
C’est une magnifique mise en pages des dernières vingt-quatre heures d’Apollinaire au front, avant l’impact de l’éclat d’obus. Apollinaire qui s’engage pour voir l’autre côté, être sur le fil du rasoir, à la fois dans sa peau de poète et voir comment rejaillit sur la poésie la tension absurde de la guerre. Voir s’il est possible de la rendre utile, dans le sens où l’on dit : à quelque chose, malheur est bon.
Tout engranger, tout accepter, ne rien rejeter, ne pas s’exposer plus, mais non plus pas moins que ses hommes, qui l’ont surnommé « Cointreau-Whisky », plus facile à retenir, plus camarade. Apollinaire est celui qui les écoute, qui les entend en tant (en temps) qu’homme, pas en tant que supérieur. Même si lui reçoit lettres et revues d’art, il reste proche d’eux, ils l’enrichissent, enrichissent sa pensée, sa langue, entremêlant ses mots à lui, les leurs et la façon de les dire, de les accorder, d’en faire des acolytes.
Apollinaire n’est pas entre deux, mais de plain pied dans les deux mondes : à Paris et sur le front, à la guerre et en poésie. Il cueille en passant les éclats de vers et les éclats d’obus, sans rendre la guerre inoffensive mais en l’apprêtant, pour mieux la désarmer.
Mots d’hommes, paroles d’hommes de milieux sociaux différents, ce brassage et ce rassemblement s’il est propice à quelque chose, c’est à l’amalgame, à la révélation du sens caché, au « jeu de mots ». Apollinaire s’y astreint, s’y exerce, parfois s’emballe, galopant derrière le sens que l’accolade des mots révèle, et transfigure.
Il n’y a pas de mots pour dire la guerre, le temps et la phrase qui s’étirent, rectiligne entre les tirs d’obus, ne rendent compte de rien. Il faut les démembrer comme le sont souvent les hommes morts, les éclater comme les obus éclatent comme pour mieux entendre la résonance, le silence – le blanc, le vide – entre les mots :
« C’est le meilleur moment. Le plus beau. Ces fautes de pas, ces variations maladroites, ces demi-pointes. Quand le poème balbutie encore. Toute cette dérive.
La phrase flotte. Elle ondule, elle frétille. Elle se dandine. Se regarde dans la glace en faisant la coquette. (…) Si l’on tarde, les mots se bousculent, s’énervent. Deviennent indociles » (p.119-120).
Anne Morin
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