Les nouvelles femmes de droite, Magali Della Sudda (par Yasmina Mahdi)
Les nouvelles femmes de droite, Magali Della Sudda, éditions Hors-d’atteinte, Coll. Faits & Idées, février 2022, 320 pages, 19 €
Les nouveaux fanatiques se rallièrent sous l’étendard du fils de Marie
(Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794)
Pour les étrangers, les fonctionnaires, les Israélites, les colons, les trafiquants, l’Arabe, moins considéré que ses moutons, est fait pour être écrasé. Le refouler dans le désert pour s’emparer de ce qu’on ne lui a pas encore pris, tel est le rêve. Les Français algériens, qui ont déclaré que le fanatisme rendait les Arabes incivilisables, s’obstinent à ne rien tenter pour les tirer de l’ignorance, si favorable à l’exploitation et à la domination
(Hubertine Auclert, Les femmes arabes en Algérie)
Asservissement et dépendance
Magali Della Sudda analyse les formes nouvelles de contestations droitières des femmes françaises, consistant principalement en des mouvements d’opposition à la PMA et à la GPA, sous l’égide « des groupes d’ultradroite inspirés par le Vatican », animés par des personnes écrivant dans la Revue française de science politique, « des professionnels de la communication institutionnelle (…) de l’événementiel sportif (…) ou bien insérés dans le champ du spectacle ». Ainsi, la Manif pour tous est constituée de micro-groupes d’extrême-droite revendiquant « un catholicisme identitaire », et d’antisémites de « la génération identitaire ». Ces ligues restreintes se coalisent parfois en groupes plus vastes et de cultures distinctes. Il est notoire de constater que les droites sont divisées sur certains sujets, à propos de l’homosexualité, comme le « porte-parole de Plus Gay sans mariage ». Des organismes assez confidentiels dérivent tout droit « du franquisme et de la collaboration ». Les royalistes, eux, optent pour « la défense de la famille traditionnelle ». Les plus virulents de ces populistes s’adressent à la « nation française », et n’hésitent pas à utiliser une terminologie raciste. Néanmoins, « les organisateurs diffèrent tant par la sociologie de leurs membres que par l’âge des militants et leur structure ». L’autrice mentionne que « les campagnes anti-genre (…) ont pris la forme d’une “croisade morale” ».
Et là réside toute l’originalité de l’objet d’étude de la socio-historienne, qui en vient à observer la chronologie du déplacement idéologique de ces nouvelles femmes de droite, ouvertement hostiles aux immigrés. La féminité dont elles se réclament est alliée au mariage hétérosexuel, à la maternité et à la reproduction de schémas conventionnels et rétrogrades. D’ailleurs, dans la photographie du début du livre l’on voit « les Caryatides » en escarpins à talons, porteuses du slogan « militer avec féminité », avec en fond, des sigles s’apparentant à celui d’Ordre nouveau. Sous le terme du « fémonationalisme », l’on trouve « les discours qui unifient des préoccupations hétérogènes anti-islam et anti-immigration (masculine) des partis nationalistes, de certaines féministes et des gouvernements néo-libéraux sous l’idée de l’égalité de genre ». Des rassemblements féminins affublés de noms pittoresques : « les Mères veilleuses, les Antigones, les Caryatides », et masculins, « les Hommen », prônent un clivage hommes/femmes. Paradoxalement, les Caryatides empruntent l’argumentaire et les modes d’action de leurs aînées féministes : image de la femme dégradée, « synonyme de sexe, de plaisir, d’objet que l’on prend et que l’on jette », « potiche voluptueuse », « usant des modes d’action et de la rhétorique féministe ».
« Dès novembre 2012, les catholiques intégristes de l’Institut Civitas », les nationalistes, en compagnie de Frigide Barjot (venant des médias), s’opposent violemment à la loi Taubira, et affirment « le primat de la famille traditionnelle et le caractère déviant de l’homosexualité ». Des noms connus du RN et du FN se retrouvent à côté d’individus de l’ombre, « dans une convergence (…) contre le mariage pour tous ». Ces groupuscules dissidents sont liés par une identité commune, raciste, élitiste, « blanche », rétrograde, et un « projet conservateur et ethno-différentialiste ». Ce « militantisme nationaliste féminin » s’instaure sur la base d’« une critique virulente du féminisme et de la laïcité », ainsi que sur une « division conjugale » (homme viril/femme féminine : « le mouvement (…) porte la virilité en bandoulière »), et sur une division de classe (bourgeoisie-aristocratie/prolétariat-étranger). Ces bataillons de droite s’affirment par une « conception ethno-différentialiste » et une « hiérarchie raciale ». Le credo de la famille nationale et chrétienne est repris par l’ensemble de groupes hétérogènes et s’aligne sur « la théorie du grand remplacement ». Certaines déclarations abaissent la femme à « un réductionnisme des militantes à leur sexe » – un réductionnisme biologique.
Le concept de race se calque sur le journal de l’organe emblématique du collaborationnisme, Je suis partout. Sont diabolisés, les musulmans, l’islam, les migrants, les « non-blancs », les non-occidentaux, les Juifs, et valorisés, la terre, les racines, l’honneur, l’éducation des enfants, la pudeur, la nation, « la France éternelle » : « Nous sommes le levain de la pâte, le feu qui réchauffe, la lumière qui éclaire les éducatrices des enfants de la Nation, les militants de demain » (extrait de la Revue Militant, organe de presse du PNF). Ces femmes de la fachosphère ont une volonté d’insertion dans la politique et la sphère publique, certaines pratiquant des sports de combat dans des camps d’entraînement de la mouvance identitaire. Marine Le Pen, poids lourd du nationalisme féminin est relayée par Marion Maréchal Le Pen dans une vision complotiste qui lie « la cause des femmes à l’immigration et à la sécurité ». Ensemble, elles tentent de convaincre les femmes et de les rallier à leur cause, femmes de tous âges des classes moyennes et populaires, pour en faire des électrices. Pour celles qui se proclament du « féminisme occidentaliste », le bouc-émissaire, c’est l’étranger, considéré comme menaçant, invasif, délinquant, violeur.
« Belle et Rebelle », bloc identitaire « nourrissant un imaginaire païen et fasciste », condamne les identités Queer et transgenres et reprend la thèse de « la déconstruction de la masculinité », ralliant ainsi les arguments d’Éric Zemmour. L’on pourrait peut-être parler d’une sorte de néo-créationnisme dans lequel les femmes se perçoivent pure pulsion, pur corps, pure nature féminine, dans une adhésion sans distance, sans dialectique. Leurs impératifs d’ordre moraux sont calqués sur les réclames publicitaires, « faites ceci, faites cela », sans que soient expliquées clairement les finalités. Les activistes les plus jeunes distillent leur rhétorique alarmiste à l’aide des réseaux sociaux, par exemple les « influenceuses identitaires du collectif Némésis ». Ces nouvelles femmes d’extrême-droite se présentent comme porteuses de civilisation européenne supérieure. Les interdits portent sur l’avortement, la contraception, la prise de médicaments, tout en souhaitant un « Retour à la nature », une néo-ruralité écologique.
Magali Della Sudda relève la vision d’un « retournement (…) réactionnaire », défini ici par « la position de l’Église contre l’avortement et l’euthanasie (…) une économie morale autour de la préservation du vivant ». Cette dérive générationnelle vers des expressions protestataires néo-conservatrices, en accointance avec le suprématisme blanc, est-elle un renversement et une réintégration à l’antienne patriarcale ? « Les réseaux dormants conservateurs » se réveillent, opportunistes, disqualifiant les idées d’émancipation, formulant une réapparition des « formes anciennes d’intervention de l’Église dans le champ politique ».
Yasmina Mahdi
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