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Les Nouveaux Mondes, Sylvie Ferrando

Ecrit par Martine L. Petauton 14.01.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Edilivre

Les Nouveaux Mondes, février 2016, 227 pages (les 2 volumes) 12 € et 13 € chacun

Ecrivain(s): Sylvie Ferrando Edition: Edilivre

Les Nouveaux Mondes, Sylvie Ferrando

 

Deux petits livres, chacun portant son titre-sens ; le Livre 1 (il y a comme du Montaigne dans ce découpage) : « Chronique de la vie antérieure – les années du bonheur » avec une photo de la Côte normande, « ce petit pan de côte entre Cabourg et Trouville ». Le 2 : « jour après jour – les années denses », photo d’un quartier-buildings d’une métropole américaine.

Déroulé tranquille du récit avec l’absence du souci de l’exhaustif, de l’obligation du mot « fin », de telle sorte que quand arrive la dernière page de ces lectures-écritures Ferrando, on suppute qu’il pourrait y avoir une suite, mais qu’il pourrait seulement…

C’est l’histoire (plutôt, on nous raconte l’histoire) d’une famille française, bourgeoise, à l’aise dans cette façon si particulière à ce pays de jumeler les avoirs matériels avec la distance – la décence – qu’on se doit de garder justement avec l’argent, et le devoir, naturel, de préserver les acquis intellectuels et culturels ; les belles études, les bibliothèques, le goût pour les arts, les voyages. La bourgeoisie ici descend d’un XIXème siècle français issu des Lumières ; argent, positions de notables, études des enfants : « être dans la norme, passer les concours prestigieux ; ne pas flancher, surtout ne pas flancher ».

On nous la présente, cette famille – les Chasseneuil, et la branche collatérale, les Ramier, lointaine origine Tourangelle – à la manière de l’entomologiste ; outils, précision d’un regard qui fouille, mais demeure dans l’observation sans aucune agressivité marquée : « Lucie, sœur aînée de Marie, était veuve depuis ses trente ans. Elle avait un tempérament contemplateur, certains disaient lymphatique ». Et, nous, bien sûr de nous régaler de ces passages si balzaciens, tellement peu en usage dans notre littérature actuelle.

Le point de vue est celui d’un enfant Chasseneuil, la fille, Mathilde, ce qui n’interdit pas des regards croisés, à petites touches étonnamment précises d’autres membres de ces familles. L’angle sociétal et même économique du récit se nourrit de lieux de vie – beaux quartiers Parisiens, les écoles, les musées – vie quotidienne en milieu bourgeois, décrite telle que le veut l’Histoire, mais sans en avoir l’air, comme on passerait le nez par une de leurs fenêtres, comme on rendrait visite ; poliment. La vie professionnelle des uns et des autres, du fils Ramier, en particulier Vincent, le brillantissime chercheur, se développera au pays des grands campus, dans l’Est américain. Occasion d’ouvrir des pages dignes des meilleurs documentaristes sur le cursus universitaire là-bas, bardé de coups bas sous une flottille d’égos. L’angle intérieur, privé, est un nucléaire psychologique et familial, puisque Mathilde et Vincent, son cousin germain, le double, l’indispensable, sont amoureux, sens complet du terme, loin du simple attachement affectif fort et acceptable. On voit – dans le même temps qu’on lit – ce que tant d’auteurs contemporains auraient fabriqué avec ces personnages, ces lieux, ces sujets : entre le roman français croisé de documentaire, ces réussites socio-psychologiques qui trament l’époque, et des plongées plus ou moins sulfureuses dans le dedans des gens, les chemins possibles foisonnaient. Ce ne fut pas le choix de Sylvie Ferrando ; c’est son originalité, et tout le charme de son livre qui, du coup, gagne en mystère et en richesse, en intériorité précieuse.

Quelqu’un – une voix, un regard extérieur – ouvre portes, avions, trains, bureaux, cœurs, à peine, en surplomb, sans s’en mêler, semble-t-il ; touches à la Balzac et bien souvent à la Proust – celui qui habite discrètement les pages, qu’elles soient normandes ou américaines. Les couleurs, le brouhaha assourdi, les rires feutrés et bien élevés, de tant de moments de ces « Nouveaux mondes », un ciel ici, une pluie là, ramènent à « Guermantes » et aux « Jeunes filles », à moins que ne surgissent quelques belles images de Rohmer : « quand le temps s’y prêtait, elle allait se promener le long de la mer… emportant tantôt un livre, tantôt un carnet de croquis… elle se laissait aller au farniente dans une chaise longue, offrant des pans entiers de sa peau claire au soleil, dont on se protégeait peu en Normandie, en raison du petit vent de bord de mer, faussement rafraîchissant ». Ecriture d’une entière précision, sans fioritures et décorations inutiles ; quelque chose d’économe et d’efficace ; de dense.

Autre parti pris de l’auteure – fort pertinent – celui d’escalader la montagne famille bourgeoise par ses faces les plus inattendues, et du coup les plus appétentes pour le lecteur. Les personnages de Vincent, sa mère Lucie, l’intellectuelle contrariée devenue alcoolique, Marie, l’attachante mère de Mathilde, sorte de pont entre le normal et le dissonant en bourgeoisie, et bien sûr, Mathilde, la figure de proue des deux livres, qui préféra le désir de la création artistique à la norme des chemins balisés ; tous sont des atypiques, parfois même des contraires, qui, pour autant – magie des liens et des affects – tissent mieux que d’autres ce manteau familial, aux airs de saga vraie, et peut-être heureuse.

A suivre ? Sylvie Ferrando, en tous cas, à lire, en chantant Montaigne, Balzac, ou Proust, et ce mot de famille qui émeut et nous charme, bien étrangement en ces temps où tant de lignes bougent. Famille ouverte – et non fermeture des clans – dont on ne départagera pas facilement ce qui, dans l’écho qu’en donne l’auteure, est du domaine autobiographique, à tout le moins des souvenirs, ou du champ de la pure fiction romanesque… et ce picotement ajoute à notre plaisir.

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Sylvie Ferrando

 

Sylvie Ferrando, docteure en sciences du langage, a travaillé dans l’Édition et s’occupe de formation dans les concours de lettres. Elle écrit contes, nouvelles, romans et théâtre. Habitante du monde, par la fréquence et la diversité de ses voyages. Elle est par ailleurs rédactrice à la Cause Littéraire.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)