Les noces clandestines, Claire-Lise Marguier
Les noces clandestines, mars 2013, 121 p. 13,80 €
Ecrivain(s): Claire Lise Marguier Edition: La Brune (Le Rouergue)
C’est tout simple, l’histoire de ce livre. On dirait un bout de fait divers, au coin usé d’une feuille de chou de province. Un type en enlève un autre, et le séquestre ; un chapelet de comment… donc… s’ensuit. Le pourquoi tient sa place en fond, flouté.
Mais il s’agit d’un livre – et quel livre ! Il est question de littérature – haute et aboutie ; et d’un jeune auteur, qui signe là – à peine croyable, un premier roman.
« C’était juste avant l’automne, cette saison bancale, entre deux, dont la seule évocation nous jette dans le spleen des poètes. Bonne maman achevait sa vie à l’étage de la maison, allongée dans ses draps souillés qui empestaient l’urine et les chairs en décomposition… ».
On hésite déjà, dès l’entrée du roman, entre la confiture et l’horreur, la vie banale, et ses dessous terribles. On regarde d’emblée, de travers ce gars – prof d’histoire en collège – comme on se pencherait sur la margelle du puits, effrayé, attiré, aussi, par ce qu’il y a au fond.
Le type (on ne sait pas son nom) est, à l’évidence, gibier de psychiatre, sans le savoir, ou, sans le vouloir. Attend donc, la mort de son ancêtre, et, histoire d’occuper le temps, bricole, transforme, le sous-sol – minutieux, comme tous les maniaques. Une pièce en sort, secrète ; cave confortable ; parfait piège à l’abri des regards : « je songeais simplement que la chambre rouge était assez confortable pour que quelqu’un puisse y vivre à demeure ». Restait à trouver le client de cet étrange hôtel. Jusqu’au jour, où, sur les marches, un SDF apparaît – Joël / Noël, de petit garçon toxique. La proie est attirée, hébergée. La sarabande peut commencer : « je compris, ce serait lui… le destin l’avait jeté sur le pas de ma porte, pour moi seul… il frottait sa capuche de temps à autre. Des boucles blondes qui avaient l’air de vouloir s’en échapper me privaient par vagues de ma lucidité… ».
La magie de ce livre, et surtout de son écriture, est de nous balader, sans arrêt, d’un sentiment à l’autre, jamais clairs, jamais arrêtés, de ressenti, en impressions, de réminiscence littéraire ou filmique, en retour de flashs sur des faits divers. Couleur violente, puis en noir et blanc. Le lecteur est happé, perdu, trompé : – il va se passer cela… c’est un genre-Dutroux ! On est parti pour des passages « chauds », peut-être même salaces ? Et, pan, tout faux ! On continue, ailleurs… il y va, là, de ces parties de manèges, qui nous faisaient peur, délicieusement, dans notre enfance : quoi, encore, au coin, là-bas ? Et de crier ! Et ici, de lire, d’un seul trait, à grandes goulées gourmandes, cette drôle d’aventure ; ce conte, peut-être aussi (qui es-tu, lecteur, toi ??).
Le format est court, et le rythme nerveux. Juste ce qu’il faut pour être le contenant de ce huis clos, entre le piégeur et le piégé, le curieux bourreau, et la non moins étonnante victime. Rites et rituels aussi d’une religion intime, où il s’agit de laver, nourrir, regarder, la belle plante destinée à ne pas voir le jour.
« – Tu as bien dormi, Joël ? demandai-je doucement. Il ne répondit pas. Sous son regard grave et interrogateur je me sentais tiré du néant pour être offert à la lumière »…
Réussite absolue de pages d’une violence inouïe, mais, cultivée in vitro, à l’abri de la lumière, comme assourdie. Les passages qui colorent ces relations inter-personnelles d’un sado-masochisme, au moins apparent – car sait-on jamais, dans ce livre ! sont d’une densité d’acier. Abouties. Maîtrise du regard de l’auteur sur ses personnages, certes, mais, aussi, nous renvoyant à nous, lecteurs, le miroir, « la facture » de notre position forcément voyeuriste, portant le jugement des gens de l’extérieur.
Ainsi, lorsque la fin de l’histoire se profile, on a l’impression que la boucle est bouclée : on était dehors, on a regardé dedans, la maison, l’univers de ce type étrange, mais aussi, en nous-mêmes, acteurs au quotidien d’une petite société provinciale et lisse, comme on en connaît tous. Alice est repassée de l’autre côté du miroir. Nous, on sort de ce livre, pas vraiment sûrs d’en être revenu…
Martine L Petauton
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