Les mots du peintre, Emmanuel Merle, peintures de Georges Badin
Les mots du peintre, Emmanuel Merle, peintures de Georges Badin, éd. Encre et lumière, 2016, 100 pages, 23 €
L’élégance simple des mots, voilà ce qui frappe le lecteur d’Emmanuel Merle dès les premiers vers du recueil où s’impose la prégnance de la finitude dans la présence consolante de la couleur (« l’infini du bleu ») qui « apprivoise » la mort. Avec le vert qui tient son identité de l’herbe naît alors la lumière et un feuillage qui couvre le néant, celui du « blanc du papier ».
Mais se pose, malgré tout, la question du lieu du fait que « la toile refuse les couleurs » et que prédomine le rouge, teinte du sang et de la violence. Aussi pour le frère synesthésique du peintre-démiurge, Georges Badin, dont quatre peintures illustrent les textes, viennent les questions et les injonctions qui leur font suite. Au sujet, entre autres, du mystère des mots – jusque dans les derniers vers du livre le poète parle de les « déshabiller » – et du travail orphique du peintre qui donne « une voix aux morts ».
Le deuxième volet – le livre en comprend cinq – insiste sur la précarité de la création, annonçant « le Vertige » qui conclut l’ouvrage : « c’est l’Occident qui trébuche / sur un sol inhabitable ». L’identification du poète au peintre se fait ainsi plus significative encore dans un dialogue entre le « je » et le « tu » : « J’ai moi aussi un pinceau ». Mots et couleurs se confondent, quel que soit le corps, quelle que soit la chronologie, et l’on ne sait plus qui est le narrateur du poète et du peintre.
La suite du texte – le volet 3 s’intitule Pourtant la nuit – marque un espoir :
il faut réaliser que dans l’obscurité même
la lumière est là que le noir
est aussi un espoir
que dans l’anthracite
il y a encore un choix
On peut penser qu’il s’agit, pour le poète, du noir de l’encre et, pour le peintre, de possibles clairs obscurs.
Frères du grand Pan, aventuriers du cosmos, tous les deux sont ravis par « le son / l’improbable beauté du hasard » et ont en commun des gestes qui déjà sont « obole ».
C’est encore « le miroir de la couleur » qui permet au narrateur, dans un quatrième volet intitulé Dieux simples, d’écrire : « je me discerne davantage », d’entrevoir des « signes » à travers le rouge et de deviner dans le noir le « secret » du soleil. Ainsi, grâce au travail divin du peintre, se forme une salutaire ouverture sur le réel.
Le recueil se clôt sur Le Vertige de l’Occident prédit au début du livre. Dans cette barque de la vie où « chacun de nous est un pays en guerre », où le lieu et le temps font question ainsi que la nature elle-même puisque « les oiseaux n’ont pas de sens », l’écoulement de l’eau, du sang et du son reste une sauvegarde. Pour le poète qui doit « préparer (son) vocabulaire / aiguiser tous les sens », il y a encore une terre « promise », un espoir signifié par la répétition incantatoire du futur simple et symbolisé par la renaissance du phoenix. En effet « la vie est brûlure ». Un magnifique passage en fait la description au moyen de riches isotopies ; sa chute est remarquable :
Mais, dans la draperie rougie d’une aube éphémère,
nous sommes l’intensité, ardemment,
Sur la ligne de feu.
Cette intensité permet au créateur d’être toujours dans le désir et dans l’attente des couleurs et des mots et de vouloir, en « contrebandier », traverser des frontières.
Georges Badin ne sera jamais assez remercié par ceux qui, même sans l’avoir rencontré comme Emmanuel Merle et d’autres, ont eu le bonheur de travailler en harmonie avec lui et de découvrir, de cette façon, l’alchimie rare qui peut avoir lieu entre la peinture et l’écriture contemporaines.
France Burghelle Rey
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