Les Miscellanées d’un bouquineur, Virgile Stark (par Gilles Banderier)
Les Miscellanées d’un bouquineur, Virgile Stark, Les Belles-Lettres, novembre 2022, 156 pages, 17,70 €
Edition: Les Belles Lettres
On peut passer sa vie professionnelle à vendre des livres dans une librairie ou à les prêter et en assurer le retour dans une bibliothèque publique sans jamais en lire un seul. Le fait que le prix d’un volume soit désormais imprimé au bas de sa quatrième de couverture évite au commerçant de feuilleter le volume pour établir sa facture. Dans les bibliothèques publiques où un ouvrage se réduit désormais à un code-barre, le seul membre du personnel amené à ouvrir un volume est celui chargé de le cataloguer – et encore peut-il se contenter de copier les informations fournies par une base de données. Bref, ceux qui vivent au milieu des livres ne sont pas ipso facto les mieux placés pour en parler. Bien entendu, il existe d’heureuses exceptions et Virgile Stark en constitue une, qui manipule des livres les jours ouvrables à la bibliothèque où il travaille et bouquine sur ses heures de loisir. De sa longue et assidue fréquentation des livres, il a tiré un volume de Miscellanées d’un bouquineur, auxquelles les Belles-Lettres ont donné une forme particulièrement agréable, originale et réussie.
Comme l’écrivait Montaigne, l’auteur d’un livre infini, « celui-ci [le commerce des livres] côtoie tout mon cours et m’assiste partout. Il me console en la vieillesse et en la solitude. Il me décharge du poids d’une oisiveté ennuyeuse ; et me défait à toute heure des compagnons qui me fâchent. Il émousse les pointures de la douleur si elle n’est du tout extrême et maitresse. Pour me distraire d’une imagination importune, il n’est que de recourir aux livres ; ils me détournent facilement à eux et me la dérobent. Et si, ne se mutinent point pour voir que je ne les recherche qu’au détriment de ces autres commodités, plus réelles, vives et naturelles ; ils me reçoivent toujours de même visage ». Il faut avoir soi-même passé un peu de temps à fréquenter les livres pour savoir qui fut Gabriel Peignot, alias G.P. Philomneste, auteur d’Un Livre des singularités, et d’Amusements philologiques, jamais réédités depuis le XIXe siècle. Virgile Stark s’inscrit dans sa ligne. Le seul point commun aux cent cinquante notes réunies dans ce volume, qui s’accommode d’une lecture discontinue, est le livre, cet objet né avec le christianisme et qui supplanta définitivement le rouleau, le volumen du monde gréco-latin (il a toutefois été remarqué que le traitement de texte, qui fait défiler les lignes de haut en bas, avait opéré un retour à la lecture sur rouleau) ; le livre qu’on lit, qu’on collectionne, qu’on recherche, qu’on détruit ; les livres qui transmettent la beauté ou l’horreur du monde. Il est question de méthodes de lecture ou d’écriture rapides, du vocabulaire de la typographie (aussi pittoresque et suranné que celui de la marine à voile), du premier livre imprimé (la Bible de Gutenberg, dont il ne reste que cinquante exemplaires, dont un appartient à Bill Gates), de lecteurs au long cours (Stanley Kubrick, Karl Lagerfeld), de manuscrits mystérieux ayant existé (le codex Voynich) ou non (le Necronomicon de Lovecraft). Avec Borges et quelques autres, Virgile Stark a compris que l’érudition est un jeu et invite son lecteur à s’amuser en sa compagnie. Nul ne regrettera le temps passé ainsi.
Gilles Banderier
Bibliothécaire, Virgile Stark a publié, aux Belles-Lettres, Crépuscule des bibliothèques (2015) et Le Navigateur obsolète (2016).
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