Les maquisards, Hemley Boum
Les maquisards, mars 2015, 384 pages, 22 €
Ecrivain(s): Hemley Boum Edition: La Cheminante
Une courte préface pour situer le sujet du roman.
En gros, dans l’histoire des décolonisations en Afrique noire, les colonisateurs anglo-saxons ont fait avec les leaders indépendantistes. Mugabe, chef d’une armée de libération, faisait la navette à la fin des années soixante-dix entre la Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) et Londres pour des négociations. Mandela fut en quelque sorte mis au frais pour plus tard. Son nom cristallisait toute la lutte contre le régime d’apartheid, il était un facteur d’unité pour les différents peuples noirs d’Afrique du Sud ; on aurait pu éteindre ce symbole au fond de l’île prison de Robben Island… Jomo Kenyatta (Kenya) ou Nkrumah (Ghana) furent d’abord mis en prison puis reçus à la table des négociations pour l’indépendance. Les Britanniques avaient formé ces gens, et leur pragmatisme acceptait ceux-ci comme interlocuteurs. Ailleurs, par contre, on s’irrita beaucoup des revendications d’indépendance. C’était comme si l’affaire était d’ordre personnel ou affectif et que l’on se trouvait offensé. Radicalisation, refus outragé de faire de la politique.
Lumumba, au Congo, est le martyr emblématique de cette étrange attitude quand on y pense. Mandela deviendra un grand-père amène dont la légitimité historique fait accepter une solution politique à tous, même aux plus radicaux des siens ; Lumumba en revanche, assassiné à 36 ans, demeure un contentieux permanent, un Abel dont la mort est sans cesse jetée à la figure de Caïn. Ruben Um Nyobé, au Cameroun, semble moins fameux que Lumumba hors d’Afrique, mais c’est proprement une figure d’envergure. Un autre Abel vite pris en main par la littérature – le Cameroun étant un pays de grande vitalité littéraire. C’est un fait singulier. Leader indépendantiste né en 1913 et assassiné en 1958, Ruben Um Nyobé est aussitôt récupéré par le premier des romanciers camerounais, Mongo Beti. La fin de Mandela est un embaumement. Chacun, président ou rockeur, tenait à se faire photographier à ses côtés. Um Nyobé – qui, en réalité (tout comme Lumumba) fut moins « maquisard » que Mandela – Um Nyobé donc est sublimé par des écrits littéraires – et le sera sans doute plus que son contemporain sud-africain. C’est ce qu’assure le troisième roman de la Camerounaise Hemley Boum. Près de quatre cents pages. Cinq générations au cœur de l’Afrique (ça se passe exclusivement en milieu rural) ; et le premier de cette lignée de personnages qui nous est minutieusement décrite est un… Breton du nom de Pierre Le Gall. Métaphore audacieuse et bien élaborée.
Ne cherchons pas à résumer cette saga qu’une télévision africaine exploiterait avec un succès garanti. Des êtres intenses et transcendés par un idéal politique, les contradictions douloureuses qu’imposent l’amitié, l’amour, le désir… Le titre des Maquisards est à la fois juste et un peu moins vrai. Il n’y a aucune scène de guérilla, tout au plus un guet-apens – le guet-apens du 13 septembre 1958 au cours duquel fut assassiné Um Nyobé. Le roman du reste est axé sur ce jour-là, ces ultimes heures puis minutes. Il fonctionne en flux et reflux. De ces derniers instants, la narration remonte vers le passé des uns et des autres, y revient, puis, à nouveau, retourne aux circonstances proches ou lointaines qui conduisent au dit guet-apens. Depuis son refuge dans la forêt, Mpodol (le porte-parole) Um Nyobé veut parler, négocier, participer à des élections, bref être politique. Cela lui est refusé. Catégoriquement. Hemley Boum connaît son sujet. Il n’y a pas, dans cette lutte de décolonisation là, d’idéologie, de ces grands mots flamboyants de l’époque. Um Nyobé n’a pas fréquenté les universités occidentales où l’on ingurgite cela. Il n’était pas non plus comme un Mugabe qui a dû mijoter dans la haine de l’Occident pendant ses dix années de prison. Hemley Boum décrit donc des maquisards qui sont pour la plupart des ruraux qu’anime juste une irrésistible envie d’être libres. Des hommes et des femmes qui n’aspirent pas à quitter leurs lieux de naissance, qui y reviennent après avoir été soldats pour la France sur les fronts de la Seconde Guerre mondiale. Il y a beaucoup de vie dans ce roman. Des choses de la vie. Des mariages ratés ou réussis, des infidélités, des incestes, des deuils, des amours qui bravent les coutumes… Et de belles pages sur le paysage. L’écriture d’Hemley Boum, alors, est moins pressée d’énoncer ses choix de mots moins utilitaires.
« L’aube parut sans crier gare. L’instant précédent, la forêt était obscure, avant même qu’il n’en prenne conscience, les couleurs lui sautaient au visage. Kaki sombre des feuilles pourrissantes couvrant le sol, châtain mordoré de celles à peine vieillies, brun noir de troncs d’arbres centenaires, vert d’eau des jeunes pousses, absinthe des plantes en contact avec la lumière, olive trouble de celles qui poussent dans l’ombre, rouge orgueilleux des immortelles amarantes, arc-en-ciel écrasé des orchidées épiphytes. La rosée matinale achevait de laver la végétation des miasmes de la nuit. Le cri des animaux avait sensiblement changé. Le règne des bêtes nocturnes s’achevait tandis que les autres s’éveillaient avec le soleil ».
Théo Ananissoh
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