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Les lois de la frontière, Javier Cercas

Ecrit par Victoire NGuyen 20.06.14 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Espagne, Roman

Les lois de la frontière, traduit de l’espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic, janvier 2014, 352 pages, 23,50 €

Ecrivain(s): Javier Cercas Edition: Actes Sud

Les lois de la frontière, Javier Cercas

 

Les zones de fluctuation

Un écrivain engagé par une maison d’édition doit écrire un livre sur un personnage controversé prénommé Zarco. Délinquant multirécidiviste et célèbre pour ses braquages dans les années 70, Zarco suscite dans l’inconscient collectif des habitants de Gérone une certaine ambivalence teintée d’admiration. Lui et sa bande parcourent la ville en commettant délit sur délit jusqu’à ce fameux été 1978 où la police met un terme à la survie de la bande. Mais Zarco n’a pas dit son dernier mot…

Marqué comme tout le monde par cet événement, l’écrivain entame une enquête et convoque les personnalités qui ont connu Zarco afin de recueillir leurs souvenirs sur la relation que ce dernier entretenait avec ses proches. Parmi les témoins comme l’ancien inspecteur de police qui avait connu la bande à l’apogée de sa violence, le directeur de la prison où Zarco avait exécuté sa peine, il va aussi rencontrer l’avocat qui avait défendu Zarco. Ce dernier était un des membres de la bande mais aussi un des plus proches amis de Zarco impliqués dans les braquages de l’été 1978.

La subtilité de Javier Cercas est de mettre en exergue plusieurs versions d’un même récit sur la vie de Zarco et sur la relation ambiguë qui entoure le trio formé par l’avocat (alias le Binoclard à l’époque des délits), Tere (la supposée petite amie de Zarco et dont le Binoclard tombe amoureux) et Zarco. Ainsi, le lecteur, confus, suit ces différentes versions sans réellement se faire une opinion sur le rôle de chacun et sans pouvoir démasquer la taupe qui a précipité la bande dans sa destruction cet été 1978. Au fil de la lecture et de la confrontation entre les différentes versions, la vérité émerge peu à peu. Cependant, le lecteur doit patienter jusqu’à la dernière minute pour comprendre toute l’histoire. Les lois de la frontière est aussi un roman qui pousse dans ses derniers retranchements le pouvoir des mots à dire la chose. C’est une expérimentation sur la capacité de la littérature à restituer l’exactitude d’un événement qu’on veut conter. Le roman est à la frontière du roman policier et du récit psychologique. En effet, la complexité des relations qu’entretiennent Zarco et Tere, Le Binoclard et Tere, et Zarco et le Binoclard, maintient le lecteur en haleine. Là encore Javier Cercas sait éconduire le lecteur de façon malicieuse. Il ne dévoile vraiment les motivations et sentiments de chacun qu’après de longues heures d’enquêtes et de contre-enquêtes.

Les lois de la frontière est aussi un roman social qui décrit la sortie de l’Espagne franquiste et sa marche tâtonnante vers la démocratie. La bande de Zarco désigne cette zone de fluctuation, de l’entre-deux où tout est à reconstruire.

« C’était au début de l’été 1978. Une drôle d’époque. Du moins, c’est le souvenir que j’en ai. Franco était mort depuis trois ans, mais le pays, régi encore par les lois franquistes, avait l’exacte odeur du franquisme : il puait la merde. J’avais alors seize ans, Zarco aussi. Et nous vivions à la fois très près et très loin l’un de l’autre ».

L’enquête du personnage de l’écrivain se fait trois décennies plus tard, à l’orée des années 2010. L’intrigue prend du recul par rapport à cette période pour mieux la juger… Cette rétrospection permet aussi de souligner la démarcation entre différents territoires : celui de Zarco et de Tere, symbolisant les parias, les intouchables et celui dans lequel vivait la famille du Binoclard :

« A l’époque, par exemple, la ville était entourée de quartiers où vivaient les charnegos. Le mot ne s’utilise plus maintenant, mais il désignait alors des travailleurs venus en Catalogne des autres régions d’Espagne, des gens qui, en général, n’avaient pas un sou vaillant en poche et qui étaient venus là pour commencer une nouvelle vie (…) à la fin des années soixante-dix, (…) la vieille ville était entourée de quartiers ouvriers : Salt, Pont Major, Germans Sabat, Vilarroja. C’est là qu’affluait la racaille ».

En conclusion, Javier Cercas accomplit là une performance car au delà de l’histoire de Zarco et de sa tragédie, l’auteur dissèque une société à la sortie d’une dictature et son lent apprentissage de la démocratie.

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Javier Cercas

 

Javier Cercas est né en 1962 à Caceres. Ses romans sont traduits dans une vingtaine de langues et ont connu un succès international. Après le retentissant Anatomie d’un instant publié en 2010, il revient avec son dernier opus Les lois de la frontière.

 


A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.