Les Livres et la vie, Jacques Ancet
Les Livres et la vie, éditions Centrifuges, 2015, 130 pages
Ecrivain(s): Jacques Ancet
« La poésie, c’est le bruit que fait le monde quand je parle » (1)
« Le poème n’existe pas, seule existe la trace qu’il en reste » (2)
Pour le lecteur, surtout s’il est lui-même écrivain, l’essai de Jacques Ancet est un livre complet, une bible dans laquelle, avec une mémoire chronologique parfaite de son travail, celui-ci évoque tout ce que l’on peut attendre comme expériences poétiques, comme influences orales et écrites ou comme aventures éditoriales. C’est l’ouvrage que chaque poète ne peut que souhaiter réaliser un jour.
Après le « flot verbal », de nouveaux écrits naissent qui, au-delà du ton baroquisant, sous l’influence sans doute des traductions espagnoles, vont plus loin. C’est le moment aussi, après les récits d’une grand-mère et la lecture de Giono, pour « d’autres lectures essentielles » : Jaccottet, Paz ou Nietzsche, et pour la découverte du fait que la poésie est à la fois « quête de racines » et plongée dans l’ici et le maintenant.
Plus tard se font les rencontres, dans des domaines différents, de Rítsos, de Meschonnic – Jacques Ancet parle à son propos de « familles de pensée » – sans oublier celle de Faulkner qui inaugure la lecture des « grands romanciers » du boom « hispano-américains » liée à l’expérience d’une « énergie, à la force du langage ». Au récit de cette expérience s’ajoute celui de beaucoup d’autres, de celles de toute une vie d’écrivain tel que, dès les premiers textes, « la dépossession du moi ». Evocation également du désir de réconcilier le langage et le monde tout en dénonçant l’illusion référentielle. La nature du réel et le sens de l’écriture sont autant de questions qui se posent en plus. Au départ de la réflexion l’écriture est ressentie comme « instants toujours renaissants » et « recommencement perpétuel ». La structure répétitive va s’imposer dans l’ensemble de l’œuvre du poète, elle va être « composante essentielle » de son écriture.
Les expériences musicales, leurs influences, avec par exemple « la découverte bouleversante » de Schubert et l’assurance qu’il y a dans la relation amoureuse une dimension métaphysique sont des éléments importants pour la recherche du poète.
Primordial est aussi le travail de la forme dont sont décrites ici minutieusement les différentes étapes comme celui des longs versets à la Claudel qui font contraste à des suites de poèmes courts. C’est ainsi que sont sans cesse évoqués les problèmes de structure, de typographie et le rôle du rythme lié au choix de la versification. Les livres s’enchaînent dans le « travail d’exploration de formes fixes ». Après des débuts « dominés par le vers pair » viendra celle des formes fixes impaires avec, par exemple, la composition de dizains heptasyllabiques qui font suite à la traduction de saint Jean de la Croix. A noter une exploration aussi de l’ennéasyllabe, un travail « quelque peu obsessionnel » du chiffre 9, puis plus tard du 13 et, pour finir, du 8. Ces formes permettent au poète de se reposer de « l’effort d’écriture des proses précédentes que l’absence de contraintes rendaient plus difficiles à écrire ».
Davantage lié au fond, on trouve exprimée ici la décision de faire réapparaître le « je » jusqu’à faire naître une voix « silencieuse, intime et anonyme, qui est tous et personne ». Enfin une réflexion sur la « poétisation » et, à l’opposé, une « prosaïsation », permet à l’écrivain d’approfondir son entreprise.
Celui-ci va loin dans l’analyse en tentant de définir au plus près le genre littéraire de ses écrits : roman, poème ou les deux à la fois, émettant des hypothèses sur leur différences. Il n’oublie pas d’évoquer, par ailleurs, pour le bonheur du lecteur, son sentiment d’être conduit par le texte : « à aucun moment je n’eus le sentiment de le maîtriser ni même de l’orienter », ou ses difficultés dans la recherche de titres qui enfin s’imposent.
Des circonstances comme, notamment, les encouragements ou les réticences des éditeurs l’amènent à opérer sur ses écrits des modifications et améliorations. Les allusions au monde de l’édition sont récurrentes tout au long de l’essai avec le récit chronologique de la rencontre d’éditeurs bienveillants ou en difficulté. Quand un livre erre de maison en maison, peut même survenir « une véritable traversée du désert ». L’aventure numérique se présente parfois comme une solution « sans que pour autant soit remise en cause… l’hégémonie du livre ».
L’essai s’achève par quelques brèves réflexions ; celle qui suit résume en peu de mots le travail involontaire de Jacques Ancet : « les mots les plus simples, le vocabulaire minimum, je n’ai pas choisi non plus. Malgré moi, j’écris contre. Contre les postures, contre l’image pour l’image, la poétisation, la belle littérature… ».
Pour les passionnés du genre, la leçon du poète se montre édifiante jusqu’aux dernières lignes.
France Burghelle Rey
1) (aphorisme manuscrit, p.70)
2) Ode au recommencement, J. Ancet, p.60
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