Les Impressions des Petits Garçons, François Baillon (par Philippe Leuckx)
Les Impressions des Petits Garçons, François Baillon, éd. Gaspard Nocturne, 2019, 148 pages, 17 €
Dans une langue sûre, classique, posée, précise, intuitive certes, le nouvelliste Baillon, par ailleurs poète, décape, le mot n’est pas trop fort, les clichés souvent associés à l’enfant, à l’enfance. Aucune mièvrerie ne vient contrevenir le regard que le nouvelliste pose sur cet univers qu’est « l’enfance ». L’instable domaine des enfants, plein de surprises et d’étonnements singuliers, trouve ici matière à description, à réflexion. Le scalpel délirant convient bien à notre écrivain : il faut gratter la pelure des interdits, des tabous. Et se méfier des premières « impressions » lénifiantes ; l’enfance n’est pas « ça » ! On peut « déménager » au propre, au figuré, s’enticher, faire l’affront au réel pesant. On peut, encore faut-il avoir les rênes solides, les reins combatifs ! On peut avoir un « grand-oncle », une « Amalia » de conserve, être « ce p’tit gars » : la vie est toujours au-delà de nos espaces de référence, de nos pauvres espérances. L’enfant est toujours cette exception – comme sauvée d’une police routinière, efficace, ou de parents sérieux – apte à subir les contrecoups, à les délayer dans l’espérance folle du rêve ou du déni singulier. Ces nouvelles inquiètent, ouvrent, ferment, obtempèrent, signalent, dégagent (au sens politique) ; elles sont de bon aloi infernales de vérités cachées. On en remercie l’auteur, doué, et tout aussi singulier !
« Et c’était cela qui avait fait émerger des caves de son esprit une réminiscence irrésistible : la découverte de l’injustice » (p.43).
« A l’âge de sept ans, Théophile avait l’habitude de revenir de l’école tout seul. Il se singularisait en choisissant de porter, autour de son cou, un cordon turquoise auquel était attachée sa clé » (p.92).
« L’enfant eut un sursaut. Le père continuait de le sonder avec une indifférence apparente mêlée de stupeur ; en lui grandissait sourdement l’incompréhension devant ce petit garçon que, dans une perspective désarmante, et sans qu’il n’y ait aucune prémisse à un tel résultat, il vit sous les traits d’un étranger… » (p.137).
L’écriture porte haut les thèmes, il suffit de (re)lire ces fragments pour se rendre compte de la qualité stylistique et psychologique des textes soumis à notre éveil/vigilance : la porte s’ouvre sur un monde délicat, fragile, soumis si souvent à l’interprétation simpliste, alors que l’enfant, l’enfance distillent une complexité de registres, d’âmes, d’univers.
Le livre vaut son pesant d’analyse nouvelle, d’une acuité singulière, répétons-le, comme son auteur.
Philippe Leuckx
François Baillon est un écrivain et critique français. Il est l’auteur par ailleurs de poèmes (Le Coudrier).
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