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Les Idiots d’abord, Bernard Malamud (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 07.11.19 dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA

Les Idiots d’abord, octobre 2019, 266 pages, 22 €

Ecrivain(s): Bernard Malamud Edition: Rivages

Les Idiots d’abord, Bernard Malamud (par Léon-Marc Levy)

 

Belles variations sur la solitude et l’incompréhension des êtres, Les Idiots d’abord est un recueil de nouvelles composées entre… et… par Bernard Malamud. Comme dans Le Tonneau Magique, on y retrouve cette étonnante alternance entre nouvelles new-yorkaises et nouvelles romaines. Et l’alternance n’est pas seulement géographique : à New-York, Malamud revient à ses fondamentaux : des boutiques pauvres, tenues par des vieux Juifs qui n’en peuvent plus de misère et d’ennui ; à Rome ce sont plutôt des chroniques mondaines et amoureuses. Mais toutes mettent en scène des personnages enfermés dans la difficulté de communiquer avec les autres. Les couples se délitent, les clients fuient, la solitude et la misère, morale et matérielle, s’installe, ravageuse.

Bernard Malamud est chroniqueur de moments de vie. Ses nouvelles ne sont pas des romans en condensé, elles ne racontent pas une histoire avec début et fin. Ses nouvelles commencent ici et finissent là. Il faut peut-être imaginer un Carver juif, avec ce que cela implique de minimalisme dans l’économie narrative mais aussi d’humour juif, désespéré mais drôle (drôle parce que désespéré). Les personnages de ces nouvelles ne peuvent pas saisir dans leurs mains, dans leur vie, ni les autres, ni eux-mêmes, ni les objets et lieux de leur présence. Tout échappe, glisse, s’enfuit, se perd. Comme Rome ici, métaphore du destin des hommes :

« Incapable de travailler, il errait tristement par les rues, âme poussiéreuse dans une ville saturée de fontaines et de robinets incontinents. De l’eau, de l’eau partout, de l’eau jaillissant, coulant, gouttant, murmurant des secrets, amour amour amour, mais pas pour lui. […] C’était à ceux qui la désiraient le plus qu’elle appartenait le moins. A pas lents il gravit le Pincio pour tenter de reprendre courage en contemplant de là-haut les sommets de la ville : flèches, coupoles, tours, monuments, histoire accumulée et temps révolu. Une ville qu’on pouvait d’un coup d’œil posséder tout entière, sauf son âme qui se dérobait à vous » (Nature Morte).

Des idiots, il n’en est pas que dans la première nouvelle qui, certes, met en scène un idiot, un simple d’esprit. Les idiots d’abord, n’est-ce pas ? Il en est tout au long du récit, des naïfs, des obstinés, des mal équipés pour la vie. Bernard Malamud a un art du portrait tellement épuré qu’il frise souvent la métonymie : un seul trait campe un personnage. « Le soir même j’ai pris un taxi pour aller la voir chez son frère. C’était un homme tranquille avec une petite moustache » (J’ai toujours préféré le noir). La vocation allégorique de ces contes facilite ces portraits à la volée ; point n’est besoin de psychologie, de profondeur ou d’introspection. Les personnages des nouvelles de Malamud sont des jouets qui peuplent son jardin afin d’illustrer « l’idiotie » de l’un ou de l’autre, composer une sorte de comédie humaine où les êtres sont réduits à des pantins, surdéterminés par leur aveuglement, ou leur malchance, souvent les deux à la fois.

Comment ne pas évoquer ici cette nouvelle qui est assurément le sommet de ce recueil et qui est située, de toute évidence volontairement, au centre exact du livre. Elle s’intitule L’oiseau-juif et relève – c’est récurrent chez Malamud, on se souvient de certaines nouvelles du Tonneau magique – du genre fantastique. Un oiseau noir – un corbeau peut-être – débarque par le balcon dans l’appartement des Cohen, dans un immeuble de la 1st Avenue, à l’embouchure de l’East River. Rien d’extraordinaire en soi mais le corbeau parle, et parle « juif » : « Gevalt, un pogrom ! » dit-il en arrivant. Il vient se réfugier chez les Cohen parce qu’il fuit les antisémites (« n’importe lesquels, y compris les aigles, les vautours et les éperviers, dit l’oiseau. Sans oublier les corbeaux qui de temps à autre essayent de vous arracher les yeux »). Les Cohen l’adoptent un temps, le baptisent Monsieur Schwartz, avant de le chasser parce qu’il fait des saletés sur le balcon. De cette affaire cocasse, qui préfigure son dernier roman La Grâce de Dieu, Bernard Malamud fait une parabole hilarante de la condition des Juifs à travers les âges, persécutés selon les humeurs des peuples et des nations et incapables même de la moindre solidarité entre eux (Malamud brise là le mythe idiot du « lobby juif »). Et surtout il nous fait rire aux larmes, dans la grande tradition des contes du Shtetl !

Bernard Malamud, l’un des derniers conteurs juifs, fascine et enchante dans ces douze délicieuses nouvelles.

 

VL3 (assez haute valeur littéraire)

 

Léon-Marc Levy

 

 


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A propos de l'écrivain

Bernard Malamud

 

Bernard Malamud (26 avril 1914 à Brooklyn – 18 mars 1986 à New York) est un écrivain américain de parents juifs immigrants. L’Homme de Kiev fut récompensé du Prix Pulitzer et du National Book Award en 1966.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /