Les Hommes tissent le chemin, Bernard Grasset, éditions Soc & foc (par Didier Ayres)
Les Hommes tissent le chemin, Bernard Grasset, éditions Soc & foc, peintures de Jean Kerinvel, 2014, 12 €
Le voyage des signes
L’ouvrage encore assez récent que signent Bernard Gresset et Jean Kerinvel, est bâti sur une collaboration de deux formes artistiques : l’écrit et l’art plastique. Ici, les deux auteurs sont à égalité, le poème suggérant le texte, et la peinture produisant le récit de l’écriture. Tous deux représentent des expressions capables de faire croître l’homme, de nous autoriser à revenir à une relation spirituelle tout autant par le voyage, sorte de bulle immobile, que par l’action de l’art. Relation à la contemplation, celle de la nature, de l’art, penchant sur le besoin d’agrandissement de notre habitation humaine. Car l’être humain ne finit pas, toujours pris entre les deux tangentes de la matière et de l’esprit, du corps et de la pensée. L’être, son ontologie, dépassent le cadre narcissique d’un Je susceptible d’être aimé pour lui-même, mais un Je qui questionne le Je, le Je-suis-je de Parménide.
Le lieu intérieur, pur,
Résonne d’un éclair
Où se penchent nos vies.
Le grand phare, le sable,
L’écho des années
Prolonge l’aventure.
La seule démarche possible est de dégager un chemin vers l’infini, grâce aux paysages, aux noms de villes, aux références à des lieux visités, des mers traversées. Il faut juste pousser la porte du beau pour entrevoir où habitent les créatures, eaux et feux, soleil et mer. C’est là cette nourriture céleste qui hante depuis si longtemps la conscience poétique.
L’accès au mont solitaire
Ouvre sur le silence, l’infini,
Toute liberté, tout bonheur,
Jaillissent du feu des cimes.
Revenons un instant sur le travail de Jean Kerinvel qui, lui, déduit cette question de la Présence, par la peinture de surfaces : marées montantes ou qui se retirent, vision aérienne de sols cultivés, coulures des eaux de pluie sur du schiste, trouées dans une matière volcanique en incandescence, de paysages à la Cézanne. C’est donc la perspective, le tableau de sites, le point de vue, qui conduisent ou reconduisent la créature à son essence providentielle. Vision profane de la pierre, et vision élevée de la pierre angulaire.
Sur les terres voilées
Passe un long train nocturne,
À la fenêtre une main.
Pour résumer brièvement mon impression de lecteur, je dirais qu’il y a dans ce petit livre, un vrai « voyage dans les signes » (à rapprocher, en un sens, de L’empire des signes de Roland Barthes, lui aussi un récit de voyage). Au reste, l’écriture et le style de l’auteur sont homogènes, égaux dans leur souffle, régulier dans leurs images, évitant tout à fait le guide touristique au profit d’une déambulation raffinée, écriture qui s’attache peu au pittoresque, mais conduit le liseur à respirer selon des rythmes, des cadences, de courts adagiettos. Ce qui persiste le plus longtemps, c’est l’enivrement très léger, une euphorie douce. Et que l’on puisse aller d’une image peinte à une métaphore écrite, là est le soin que nous prodiguent ces voyages peints et rédigés.
Didier Ayres
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