Les Hauts du Bas, Pascal Garnier
Les Hauts du Bas, octobre 2016, 191 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Pascal Garnier Edition: Zulma
Les éditions Zulma rééditent ce roman au format poche, l’édition précédente datant de 2003. Initiative qu’il faut saluer tant la (re)lecture de ces lignes est jubilatoire. L’exercice de la recension impose une certaine neutralité, une retenue, quant à l’enthousiasme ou l’indifférence et parfois même l’ennui ressentis durant la lecture de certains. Lire Pascal Garnier crée le besoin de dire le plaisir, une fois encore jubilatoire, de son texte. On fera donc fi, ici, du respect de ces contraintes pour une expression plus fidèle aux émotions.
On ouvre le livre, et les pages s’enchaînent d’elles-mêmes, si je puis dire, sans pourtant que rien de bien extraordinaire n’ait lieu. Une lecture fluide pour des personnages plus qu’ordinaires (ou presque, j’y reviendrai) des situations banales, du quotidien donc dont la description et la narration feraient rapidement sombrer le texte dans l’ennui et le livre nous tomberait des mains. Mais on lit, et on attend au détour de chaque ligne la surprise du mot juste, de l’expression parfaite qui renvoie immédiatement à l’image, ce n’est plus une évocation d’un lieu ou d’un personnage, ce sont l’image précise, la situation exacte d’un individu dans le temps et dans l’espace, l’incongruité de ses sentiments, sa férocité, sa monstruosité parfois qui se font jour sur la page.
Et là est l’intérêt premier des lignes de Pascal Garnier, des mots, des expressions qui cisèlent le texte, ce sont des pépites qui ponctuent ce qui n’est désormais plus banal, puisque rien ne laisse indifférent, tout est définitivement créé pour subsister. Telles sont, en tout cas, les raisons de mon plaisir, et lorsque Pascal Garnier nous surprend, au détour d’un événement, par, répétons-le, l’incongruité d’une action, on voit bien que le fait en lui-même n’est pas le plus essentiel, il devient aussi (pas seulement donc) le prétexte d’une écriture pour émouvoir, à coups d’images successives, parce Garnier écrivait aussi comme on « construit » un film.
Mais cette fluidité apparente cache mal les vraies raisons d’une écriture, parce qu’on n’écrit pas par hasard, parce que l’écriture révèle bien entendu ce que parfois on peut avoir des difficultés à vivre. C’est bien là ce qui se dessine derrière les lignes et surtout par le choix des personnages. Ici un monsieur Lavenant qui se repose dans une maison de campagne, suite à un problème de santé qui le laisse partiellement invalide, il a perdu l’usage d’un bras. Et c’est pourquoi il a recours aux soins d’une infirmière à domicile, et après en avoir usé plusieurs, Thérèse sera celle qui tiendra le plus longtemps au point de devenir sa maîtresse. Tel est le point de départ d’un roman qui vire parfois au polar, tant la mort est présente à plusieurs reprises, celle accidentelle ou presque d’un fils qu’il découvre par hasard, et puis une autre mort… dont il faut savourer le machiavélisme.
Pascal Garnier tient par ce texte les problèmes à distance, l’amour est-il ainsi réduit à sa fonction sexuelle (on ne se la joue plus, surtout à cet âge) et la mort intervient au même titre qu’un événement banal, même si les circonstances dans lesquelles elles ont lieu créent la surprise. Les réactions de Mr Lavenant paraissent alors d’une monstruosité sans égal, tout d’abord quand il maltraite moralement sa « compagne », et quand il est effectivement responsable des morts qui surviennent. Monstruosité ou sens aigu d’une conscience qui replace ainsi chaque chose. Pascal Garnier, écrivain lucide, homme lucide, avait sans doute de bonnes raisons de douter des préceptes qui encombrent nos vies, des raisons de douter d’une moralité tellement encombrante, au point de ne s’en délivrer que par l’écriture, et c’est tant mieux, il nous donne ainsi, à distance, l’occasion de le relire.
Et comment ne pas noter ces pépites au service d’une belle lucidité, celles qui disent l’ambivalence d’un rapport au monde bien plus complexe qu’il n’y paraît, des descriptions qui, en une expression, montrent cette belle faculté d’observation et de retranscription : « la nuit se diffusa comme une tache d’encre dans la chambre », et plus loin « L’aube avait le teint brouillé. Le ciel hésitait à se faire porter pâle », où l’humour le dispute à la précision. Pascal Garnier disait aussi en trois lignes son détachement d’un monde guidé par l’absurdité : « Sur le chemin du retour, ils écoutèrent les informations à la radio. Un footballeur venait d’être racheté par un club pour une somme invraisemblable et un père de famille au chômage, criblé de dettes, venait de décimer sa famille avant de se donner la mort dans un pavillon du Pas-de-Calais. On prévoyait de l’orage pour la soirée et des embouteillages à la sortie de Lyon. C’était un monde parfait ».
Guy Donikian
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