Les hautes lumières, Xavier de Moulins (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Les hautes lumières, octobre 2017, 377 pages, 19 €
Ecrivain(s): Xavier de Moulins Edition: Jean-Claude Lattès
La hargne d’avoir un enfant n’est-elle pas la meilleure façon de tuer un couple ? Ce roman décrit le parcours à bout de souffle de Nina, coiffeuse de Bondy, et Tahar, chauffeur de taxi marocain, désarmés face à la procréation. On assiste à un choc culturel, entre la vision occidentale qui médicalise les problèmes d’infertilité de façon froide et administrative et la culture marocaine où la famille de Tahar est prête à donner un enfant de leur chair, pour créer le bonheur de ce couple et désenrayer enfin la fatalité. Mais faut-il vouloir à tout prix défier le destin ?
Entre les pics d’hormones et les lourdeurs administratives pour adopter un enfant, Nina devient obsessionnelle et se sent enfermée dans ce destin cloisonné par son utérus mal formé. L’auteur nous surprend par sa description si réaliste de ce que ressent une femme en plein bouleversement hormonal provoqué par la FIV. Broyée par l’engrenage de la procréation sans poésie, Nina se sent comme une vache bovine. A chaque piqûre, elle « est brutalement ramenée à sa condition. Elle se traite de grosse mère en grimaçant devant son reflet. (…) – Meuh ! Elle rigole pour de vrai devant la glace, pleure pour de vrai, nerveuse comme un pur-sang dans un corps de baleine ».
Et ressent cette pénible sensation qu’elle n’a plus droit à son statut de femme. Renoncer au désir de l’autre au naturel pour de l’urgence médicale l’épuise… Ce dégoût atteint son apogée lorsque sa belle-mère la force à se mettre à quatre pattes, en la traitant de chèvre. La famille, c’est avant tout les enfants, avant le couple. La reproduction à tous crins, sinon rien.
Peut-on devenir femme sans avoir enfanté ? Sans que l’auteur l’évoque explicitement, cette interrogation s’impose au vu de la descente en enfer de ce couple. « Cette foutue culpabilité de ne pouvoir donner la vie ».
Côté masculin, la réalité est tout aussi sombre, aux antipodes du happy end américain. Tahar « a pétri son amour d’espérance, chanté sur tous les tons leur avenir : happy end ». Mais, aujourd’hui il n’est plus qu’« une machine à faire l’amour », sans jamais atteindre sa cible. L’amour se transforme alors en une obligation de résultat. Les passions mauvaises éraflent alors peu à peu les « hautes lumières ». Une lutte des désirs s’engouffre dans le cœur de Tahar : doit-il céder aux appels d’une belle femme bourgeoise et indépendante ou au contraire s’accrocher au désir d’enfant de Nina ? Quelle trajectoire prendre ? La fidélité à son premier amour, envers et contre tout ? Le taxi sait oh combien les chemins sont sinueux et qu’ils ne mènent malheureusement pas tous à Rome. La vie est sans concession.
Loin des salons feutrés, la détresse coule dans les veines de Nina. Mais elle ne renonce pas, elle est prête à tout. « A l’origine de son désir de fonder une famille, il y a l’amour d’un père qui s’éteint ».
Une douce fatalité sculpte en général les romans de cet auteur. Comme si la poursuite des injonctions paradoxales de notre société nous propulsait dans une impasse. Certains désirs nous empêchent d’avancer, car ce ne sont pas les nôtres. Le désir échappe à toute normalisation. Tout comme dans son roman Charles Draper, l’auteur cherche à dénoncer les excès de notre société : le culte du corps, la déshumanisation des protocoles de FIV qui désagrège les couples… Ses romans décrivent la froide réalité, avec un regard de reporter qui ne prend pas partie et se contente de décrire les faits avec bienveillance.
On sent dans ses livres que le bonheur n’est jamais loin… Mais le malheur des Hommes consiste à ne pas le voir.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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