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Les gens comme ça va, Dominique Sorrente

Ecrit par France Burghelle Rey 16.01.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Cheyne Editeur

Les gens comme ça va, juin 2017, 17 €

Ecrivain(s): Dominique Sorrente Edition: Cheyne Editeur

Les gens comme ça va, Dominique Sorrente

Né « au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 à Paris », comme l’annonce le préambule, le nouveau recueil de Dominique Sorrente est le septième de son auteur aux éditions Cheyne. Le poète, qui vit à Marseille, a reçu de nombreux prix (Antonin Artaud et Georges Perros entre autres), est également passeur de poésie avec le collectif Le Scriptorium qu’il anime dans sa ville depuis 1999 et grâce auquel il veut favoriser la présence de la poésie au cœur de la vie citoyenne.

La première partie du recueil qui en comprend sept s’intitule d’une façon volontairement fautive Ils sont les gens. Cette présentation naïve ainsi que les premières pages ne sont pas sans rappeler aux lecteurs sexagénaires un titre comme Il y a des gens de toutes sortes, qui appartenait à la collection des magiques petits livres d’or. On pouvait y découvrir les gens bons, les gens méchants, les beaux, les laids, etc. Ici les énumérations réalistes, humoristiques ont, mutatis mutandis, le même pittoresque efficace qui mêle l’étrange au banal et qui donne envie de tourner les pages. Ainsi après la description de ces gens « pète-secs, rêvasseurs, pisse-drus », passe-t-on à une écriture narrative où on les voit vivre à tous les âges :

Les plus jeunes provoquent :

« Ça existait la galette des Rois à ton époque ? »

Les plus vieux comptent les plaisirs mijotés :

« Quand tu seras jeune tu comprendras… »

 

Des actes qui sont ceux de pantins ou de grands enfants :

Ils ont des bras qui s’aventurent dans l’air…

Ils se tiennent debout tête à l’envers…

Ils sautent de flaque en flaque.

 

Au fur et à mesure de strophes aux vers libres de mesure et de nombre variés et selon le même rythme que les images successives filmées par une caméra, une vie se crée à travers le temps (depuis le lever du jour jusqu’à la nuit) et l’espace (« tour du monde dans leur chambre ») et les personnages, attachants, demandent à être connus. Ce sont des philosophes, encore des

enfants et sans aucun doute des poètes. Ils « se posent des questions » et « fixent les oiseaux de passage ». Et, comme dans l’univers de Jean Cocteau, le poète qui connaît aussi les lettres classiques – il emploie le mot « théorie » (de silences) au sens grec de « procession » – ajoute poétiquement : « leurs songes le plus souvent se froissent ».

 

Le titre de la partie 2, Les autres, joue sur la sémantique pour reprendre à la fois réflexion, description et récit concernant ces anonymes (« on ne les nomme pas, on dit les autres gens ») qui peuvent être également « les autres des autres ».

C’est de la maladie, de la souffrance et, avec elles, de la solitude, dont il s’agit cette fois :

 

Les autres meurent

tout seuls aussi, à l’hôpital,

avec leur provision d’attente dans le couloir,

leurs tubes, ventouses, clignotants

et la visite d’un soleil pâle au goutte à goutte

 

Puis, au moyen de la formule de fonction phatique « ça va ? » dont la réponse est aussi simple que complexe, s’amorce la partie 3. Souvent une même question et une même réponse pour des inconnus ou des rêveurs qui savent « l’art de fixer sur le dos de la main / un bref instant de coccinelle ».

Cette mécanique et cette multiplicité de la relation amènent l’auteur à exprimer, dans la douceur d’une chute, une réalité heureuse : « Les gens gardent au-dessus du lit / une place à part pour leur ange gardien ».

Une élection se fait à la partie suivante Un parmi, que le lecteur va vivre comme une pause bénéfique tout en sachant qu’il peut s’identifier, grâce à l’emploi du pronom « tu », à cet étranger qui en fait lui ressemble comme le dit justement le poète à la fin de son préambule. Celui-ci évoque, d’ailleurs, dans les lignes précédentes, « cette communauté de destin malmenée qui nous relie », nous les « frères humains » de Villon auxquels s’adresse le livre. Si, au quotidien, cet élu étouffe sous le poids du destin sans résoudre les questions qu’il se pose, il lui suffit de sortir à l’arrivée du printemps et de « converser » avec le mimosa tel Sisyphe à qui les fleurs permettent de supporter sa terrible tâche.

 

Sortir, en effet, et « écoute(r) le cœur » (partie 5) : « alors les gens libèrent leurs portes » pour former une foule et déverser leur colère en marchant

tant qu’il est encore temps, disent-ils,

qu’on n’est pas tout à fait dans le cirage

pas trop vaseux, face à la mer qui monte,

et qu’on peut encore à l’avant du jour crier terre

à la terre

 

A la fin de l’opus, deux parties restent encore à lire qui expriment la joie de ceux qui savent attendre :

On n’est pas rendus, disent-ils en riant.

Puis ils laissent la fenêtre grande ouverte

avant l’arrivée des renforts,

la venue des étoiles, le grand débarquement.

 

Ceux-là profitent d’une nature adjuvante recouverte d’une neige généreuse ou d’un sable infini qui « a tout le temps ». Ils ont pour eux, « légers de tout cet inconnu », la nuit et les rêves loin du faux voyage du monde. Ne sont-ils donc pas là encore des poètes comme Baudelaire quand il écrit son vers si célèbre : « Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » ? Eux qui pour finir sont à la fois des enfants et des artistes à la recherche de leur fleur.

Et c’est dans l’excipit comme un baiser, enfin, qu’ils trouvent dans un livre.

Grâce à l’écriture altruiste de Dominique Sorrente et à son « lyrisme joueur » à l’écart des modes, tout est bien qui finit bien pour « les gens comme ça va ».

 

France Burghelle Rey

 


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A propos de l'écrivain

Dominique Sorrente

 

Dominique Sorrente (né à Nevers en 1953) est un écrivain/poète français contemporain.

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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