Les gens comme ça va, Dominique Sorrente
Les gens comme ça va, juin 2017, 17 €
Ecrivain(s): Dominique Sorrente Edition: Cheyne EditeurNé « au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 à Paris », comme l’annonce le préambule, le nouveau recueil de Dominique Sorrente est le septième de son auteur aux éditions Cheyne. Le poète, qui vit à Marseille, a reçu de nombreux prix (Antonin Artaud et Georges Perros entre autres), est également passeur de poésie avec le collectif Le Scriptorium qu’il anime dans sa ville depuis 1999 et grâce auquel il veut favoriser la présence de la poésie au cœur de la vie citoyenne.
La première partie du recueil qui en comprend sept s’intitule d’une façon volontairement fautive Ils sont les gens. Cette présentation naïve ainsi que les premières pages ne sont pas sans rappeler aux lecteurs sexagénaires un titre comme Il y a des gens de toutes sortes, qui appartenait à la collection des magiques petits livres d’or. On pouvait y découvrir les gens bons, les gens méchants, les beaux, les laids, etc. Ici les énumérations réalistes, humoristiques ont, mutatis mutandis, le même pittoresque efficace qui mêle l’étrange au banal et qui donne envie de tourner les pages. Ainsi après la description de ces gens « pète-secs, rêvasseurs, pisse-drus », passe-t-on à une écriture narrative où on les voit vivre à tous les âges :
Les plus jeunes provoquent :
« Ça existait la galette des Rois à ton époque ? »
Les plus vieux comptent les plaisirs mijotés :
« Quand tu seras jeune tu comprendras… »
Des actes qui sont ceux de pantins ou de grands enfants :
Ils ont des bras qui s’aventurent dans l’air…
Ils se tiennent debout tête à l’envers…
Ils sautent de flaque en flaque.
Au fur et à mesure de strophes aux vers libres de mesure et de nombre variés et selon le même rythme que les images successives filmées par une caméra, une vie se crée à travers le temps (depuis le lever du jour jusqu’à la nuit) et l’espace (« tour du monde dans leur chambre ») et les personnages, attachants, demandent à être connus. Ce sont des philosophes, encore des
enfants et sans aucun doute des poètes. Ils « se posent des questions » et « fixent les oiseaux de passage ». Et, comme dans l’univers de Jean Cocteau, le poète qui connaît aussi les lettres classiques – il emploie le mot « théorie » (de silences) au sens grec de « procession » – ajoute poétiquement : « leurs songes le plus souvent se froissent ».
Le titre de la partie 2, Les autres, joue sur la sémantique pour reprendre à la fois réflexion, description et récit concernant ces anonymes (« on ne les nomme pas, on dit les autres gens ») qui peuvent être également « les autres des autres ».
C’est de la maladie, de la souffrance et, avec elles, de la solitude, dont il s’agit cette fois :
Les autres meurent
tout seuls aussi, à l’hôpital,
avec leur provision d’attente dans le couloir,
leurs tubes, ventouses, clignotants
et la visite d’un soleil pâle au goutte à goutte
Puis, au moyen de la formule de fonction phatique « ça va ? » dont la réponse est aussi simple que complexe, s’amorce la partie 3. Souvent une même question et une même réponse pour des inconnus ou des rêveurs qui savent « l’art de fixer sur le dos de la main / un bref instant de coccinelle ».
Cette mécanique et cette multiplicité de la relation amènent l’auteur à exprimer, dans la douceur d’une chute, une réalité heureuse : « Les gens gardent au-dessus du lit / une place à part pour leur ange gardien ».
Une élection se fait à la partie suivante Un parmi, que le lecteur va vivre comme une pause bénéfique tout en sachant qu’il peut s’identifier, grâce à l’emploi du pronom « tu », à cet étranger qui en fait lui ressemble comme le dit justement le poète à la fin de son préambule. Celui-ci évoque, d’ailleurs, dans les lignes précédentes, « cette communauté de destin malmenée qui nous relie », nous les « frères humains » de Villon auxquels s’adresse le livre. Si, au quotidien, cet élu étouffe sous le poids du destin sans résoudre les questions qu’il se pose, il lui suffit de sortir à l’arrivée du printemps et de « converser » avec le mimosa tel Sisyphe à qui les fleurs permettent de supporter sa terrible tâche.
Sortir, en effet, et « écoute(r) le cœur » (partie 5) : « alors les gens libèrent leurs portes » pour former une foule et déverser leur colère en marchant
tant qu’il est encore temps, disent-ils,
qu’on n’est pas tout à fait dans le cirage
pas trop vaseux, face à la mer qui monte,
et qu’on peut encore à l’avant du jour crier terre
à la terre
A la fin de l’opus, deux parties restent encore à lire qui expriment la joie de ceux qui savent attendre :
On n’est pas rendus, disent-ils en riant.
Puis ils laissent la fenêtre grande ouverte
avant l’arrivée des renforts,
la venue des étoiles, le grand débarquement.
Ceux-là profitent d’une nature adjuvante recouverte d’une neige généreuse ou d’un sable infini qui « a tout le temps ». Ils ont pour eux, « légers de tout cet inconnu », la nuit et les rêves loin du faux voyage du monde. Ne sont-ils donc pas là encore des poètes comme Baudelaire quand il écrit son vers si célèbre : « Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » ? Eux qui pour finir sont à la fois des enfants et des artistes à la recherche de leur fleur.
Et c’est dans l’excipit comme un baiser, enfin, qu’ils trouvent dans un livre.
Grâce à l’écriture altruiste de Dominique Sorrente et à son « lyrisme joueur » à l’écart des modes, tout est bien qui finit bien pour « les gens comme ça va ».
France Burghelle Rey
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