Les gardiens de l’air, Rosa Yassin Hassan
Les gardiens de l’air, traduit de l’arabe (Syrie) par Emmanuel Varlet, avril 2014, 249 pages, 22 €
Ecrivain(s): Rosa Yassin Hassan Edition: Sindbad, Actes Sud
Le combat des femmes syriennes
Anat Ismaïl est interprète à l’ambassade du Canada à Damas. Enceinte de trois mois au début du roman, elle passe ses journées à entendre les demandeurs d’asile évoquer la terrible histoire de leur vie. Ils ont tous été arrêtés et torturés dans d’abominables souffrances aux heures les plus sombres de la Syrie. Certains gardent encore les traces du traumatisme, comme Salva Quajee qui tente de survivre, submergé par la terreur.
Le lecteur devine alors le stress de la jeune femme qui essaie jour après jour de mener à bien son travail tout en mettant à distance ces récits de vie qui l’écorchent en profondeur. Mais à cette réalité d’un pays au bord du précipice se superpose une autre : l’histoire d’Anat elle-même et celle de ses amies, Mayyasa et Dola, la sœur de cette dernière. Ces femmes ont vu leur compagnon jeté en prison lors des répressions sanglantes orchestrées par Hafez-el-Assad pour affermir son pouvoir. Elles ont souffert de cette absence et tentent de trouver dans des amours sans lendemain des échappatoires à leur solitude.
Les gardiens de l’air donne la voix à ces femmes trop souvent oubliées et reléguées dans l’espace intérieur des maisons. Si l’héroïsme de leur mari ou compagnon est loué, leurs sacrifices à elles ne sont jamais mentionnés comme s’il s’agissait du cours normal des choses :
« Les gens ne parviennent pas toujours à comprendre que les blessures les plus profondes ne sont pas forcément celles qui laissent une empreinte sur nos corps ! Ils voient les marques des chaînes sur les poignets de Jawad, ses cicatrices, et ils pensent naturellement à ses années de prison et aux tortures qu’il a subies. Ces choses-là sont terribles, c’est absolument indéniable, mais qui se préoccupe des plaies qui restent ouvertes au fond de la plupart d’entre nous ? Qui ? ».
La dimension tragique de ces personnages féminins atteint son paroxysme lors de la libération de leurs compagnons. Rendus à la liberté et donc à la vie, les retrouvailles sont maladroites. Les amants d’hier ne peuvent plus se retrouver. Les années de prison et d’attente ont eu raison de leur promesse d’amour éternel.
Le roman de Rosa Yassin Hassan a le grand mérite d’avoir transgressé les interdits en ouvrant la bouche des femmes et en leur faisant tenir un langage cru pour évoquer leur féminité et leur sexualité. Ainsi, ce qui ne se dit pas dans l’espace privé et public trouve un défouloir à travers l’écriture. Ces personnages féminins parlent, évoquent par des mots crus leur frustration sexuelle. Elles usent de stratagèmes, deviennent les partenaires d’un homme pour un soir le temps de calmer leurs ardeurs et d’assouvir leurs désirs d’être aimées. Ainsi comme le dit haut et fort un des personnages de l’histoire, Mayyasa, à bout : « Je vieillis, Anat. Je vieillis toute seule. Sans un homme à mes côtés, ça devient trop lourd (…) Je travaille comme une bête de somme et, quand je rentre le soir, c’est pour m’écrouler dans un lit vide… ».
Militante pour le droit des femmes, Rosa Yassin Hassan prend fait et cause pour ce combat pour le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes. Elle dénonce la maltraitance envers ces êtres. Le récit de la mère d’Anat, Jamileh, son mariage forcé le montre, de même que ceux des femmes, demandeuses d’asile pour fuir le foyer domestique où elles n’ont connu que des sévices et des violences répétées.
Raconté avec force et conviction, Les gardiens de l’air mérite toute l’attention du lecteur.
Victoire Nguyen
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