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Les garçons et Guillaume à table ! Guillaume Gallienne

Ecrit par Marie du Crest 20.01.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Les solitaires intempestifs

Les garçons et Guillaume à table ! novembre 2013 (première édition, 2009), Cinéma, 61 p., 10 €

Ecrivain(s): Guillaume Gallienne Edition: Les solitaires intempestifs

Les garçons et Guillaume à table ! Guillaume Gallienne

 

Les garçons et Guillaume, à table !

LE TEXTE

 

Je suis une fille comme ma mère

Le texte de G. Gallienne s’amuse gravement avec les genres, celui des sexes, ceux de l’écriture littéraire et des spectacles. Ainsi le titre nous invite-t-il à considérer Guillaume en dehors de la fratrie masculine, celle des garçons. Il est l’enfant féminin de la famille, celui qui chérit toutes les femmes : sa mère en tout premier lieu, celles des dédicaces mais aussi celles qu’il loue à partir de la p.30 : sa grand-mère russe, ses tantes, et « toutes les autres ». Il les nomme tendrement Martine, Christine, Victoire ou Valérie.

Apparaîtra plus tard, à la fin du texte, la « belle, jolie et mignonne » Amandine qui deviendra son épouse. Il est surtout l’enfant, l’adolescent, le jeune homme à l’identité sexuelle féminisée pour les autres et pour lui. En Espagne, il danse las sevillanas en adoptant les gestes de la partenaire féminine ; en pension, il subit la cruauté homophobe de ses condisciples. Il s’amourache de Jeremy en Angleterre puisqu’il est bel et bien une fille comme sa mère, qu’il lui ressemble et qu’elle l’aimera ainsi :

Je serai vraiment une fille mais presque une fille, et là ma mère sera heureuse ! (p.29).

Depuis son enfance, il échappe aux codes de la virilité représentée par son père. Il préfère le piano au foot ou au terrible rugby. Il ira jusqu’à fréquenter des lieux gays pour vérifier qu’il est des leurs mais en vain.

Mais le thème du genre pose aussi une question formelle sans doute parce c’est bien la question centrale de son propos. Le texte de G. Gallienne est-il un récit autobiographique avec ses « moments » que des blancs séparent, comme un récit d’enfance, d’adolescence et de formation (l’épisode du casting), écrit à la première personne ? oui, dans une large mesure. Mais il est aussi texte d’un « stand by », d’un one-man show dont le héros n’est autre que la personne du comédien en scène et qui à plusieurs reprises comme le veut ce type de performance interpelle la salle, le spectateur et ici le lecteur en parlant de sa mère :

Là par exemple, vous avez vu comment elle a tout de suite fait genre « je suis de mauvaise humeur »(p.17).

Mais c’est surtout le registre comique qui inscrit le texte à la fois dans la logique du sketch (les divers épisodes pourraient en fournir la matière (la mère et ses invités au début par exemple ou le séjour bavarois) et dans celle de la tradition théâtrale que connaît parfaitement l’auteur et plus particulièrement dans celle du travestissement – révélation des sentiments les plus profonds, comme chez Marivaux. Guillaume reviendra à son identité masculine et hétérosexuelle après avoir pris pour les autres le masque féminin et homosexuel. Sa mère, dit-il, finalement sait qu’il est un garçon (p.61). Le comique fonctionne également comme la politesse du désespoir. Guillaume vit les brimades à la pension comme s’il était dans le film d’Alan Parker, Midnight express dont le cadre est la cauchemardesque prison turque… Il souffre de l’indifférence amoureuse de Jeremy. Guillaume nous fait rire et nous émeut. Cet entre-deux enfin, c’est celui qui fait basculer le texte, le spectacle sur scène en film, quelques années plus tard. Guillaume Gallienne devient alors réalisateur derrière la caméra, se filmant fils et mère de Guillaume.

 

Les garçons et Guillaume, à table !

LE FILM


A la caisse du cinéma, les spectateurs demandent un place pour « Guillaume ». C’est plus court et plus affectueux : Guillaume, le personnage du metteur en scène et scénariste. Le jeune ouvreur annonce : salle 3, « Les garçons ». Aurait-il choisi son camp ? En tout cas l’affiche du film est la première de couverture du petit volume. Aller du théâtre au cinéma et du cinéma au théâtre, c’est cela que montre le film. Il vient du théâtre. Les premiers plans très beaux sont consacrés au comédien (Gallienne) en loge, face au miroir éclairé par ses ampoules vives. Son visage est blanc comme l’acteur du Nô qui sur une photo au mur regarde l’inquiet Comédien-français avant son entrée en scène. Il se démaquille, montrant ainsi son vrai visage, caché jusqu’alors, derrière une crème blanche. Sortie de loge, marcher dans la tension du trac. On entend : « on commence dans cinq minutes » Le rituel du merde (je le prends). Et bondir dans la lumière du plateau d’un théâtre à l’italienne. En somme le film peut commencer en s’émancipant du texte. Et le film débute par sa fin puisque c’est un Guillaume délivré enfin de la peur d’être lui-même qui a écrit un spectacle sur « un mec » lui ressemblant en tous points. Il va raconter, en reprenant les principaux épisodes du texte, son parcours, ses aventures. Il sera parfois voix off de cinéma. Première réplique du texte que le scénario redit :

Maman ! Maman ! Maman !

J’ai un peu mal à la tête.

Le cinéma « documente » les faits autobiographiques du jeune homme. Gallienne a filmé « en vrai » La Linea et le rocher de Gibraltar ou l’Angleterre, introduisant des acteurs espagnols, britanniques dans son casting. Les dialogues sont fidèles au texte : simplement on entend les voix espagnoles. Scène chatoyante et chorégraphiée des sevillanas. Le cinéma grandit la vie. Dans le va-et-vient entre « le réel du cinéma » et l’éloignement théâtral, s’installe le figure de la mère de Guillaume. Sur le plateau de théâtre, il dit les phrases éclatantes de la source littéraire, ainsi :

Elle est très pudique ma mère, elle aime pas s’épancher.

Le lit est d’ailleurs l’objet fétiche du film, le lieu des aveux : vieux lit en cuivre comme accessoire de théâtre, lit identique dans la chambre de Guillaume, dortoirs de pension, lits ou divans psychanalytiques, tables de massage. Mobilier de torture et de maïeutique. Pour devenir lui-même, Guillaume sera sa mère, jouera le rôle, dans un vrai palais, de Sissi et de l’archiduchesse autrichienne. Vive les effets spéciaux ! Il surjoue le bégaiement pour échapper au service national.

En outre, le théâtre encadre le film mais lui échappe en même temps. Le scénario a ainsi passé sous silence l’épisode du cours de théâtre (p.46) et de l’évocation de Ruy Blas et celui du casting qui lui fait suite, comique en diable et assez long. Mais il referme magistralement le film après la découverte de l’amour avec la belle Amandine et l’annonce du mariage comme dans une comédie classique. Les derniers plans sont comme un retour du plateau du théâtre vers la loge. La musique elle aussi traverse l’apprentissage de Guillaume. En Espagne, il offre à Paqui un disque de J. Iglesias chantant en français, de manière sirupeuse, Pauvres diables, et au début du générique la version râpeuse d’Arno souligne la virilité hétérosexuelle affirmée du jeune héros même si sa mère continuera longtemps sans doute à lui dire : « ma chérie ». Hymne aux femmes en vérité.

Le film de G. Gallienne a été présenté en mai 2013 à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et est sorti en salles en novembre de la même année.

 

Marie du Crest

 


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A propos de l'écrivain

Guillaume Gallienne

 

Guillaume Gallienne est né en 1972. Il sort du Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris en 1998. En 2005, il devient le 513ème sociétaire de la Comédie-Française. Il travaille à la dramaturgie de ballets et chorégraphies. Il est à la fois comédien de théâtre, acteur de cinéma et de télévision, lecteur radiophonique. Il réalise son premier film en 2013 en adaptant son propre texte, créé en 2008  au Théâtre de l’Ouest Parisien-Boulogne-Billancourt, ensuite repris en tournée jusqu’en 2010. Il reçoit plusieurs récompenses pour le spectacle Les garçons et Guillaume à table ! parmi lesquels Le Molière de la Révélation Théâtrale Masculine en 2010 et le Prix nouveau Talent humour/ One man show SACD la même année.

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.