Les fureurs invisibles du cœur, John Boyne
Les fureurs invisibles du cœur, août 2018, trad. anglais Sophie Aslanides, 592 pages, 23,90 €
Ecrivain(s): John Boyne Edition: Jean-Claude Lattès
Les fureurs invisibles du cœur, ce sont d’abord celles de Cyril, le narrateur qui dresse un portrait sans complaisance de la société irlandaise des années 40 et des décennies suivantes.
Dés la première scène le ton est donné : enceinte à 16 ans, la mère de Cyril est publiquement bannie et elle doit quitter sa famille et s’exiler à Dublin sans un sou en poche.
Abandonné dès sa naissance, Cyril est confié par une nonne bossue à Charles, un homme d’affaires qui fraude le fisc, et à sa femme, Maude, romancière qui pense que le succès littéraire est vulgaire, ce qui ne l’empêche pas de passer ses journées derrière sa machine à écrire, noyée dans un rideau de fumée car elle grille clope sur clope.
Maude et Charles Avery élèvent Cyril de façon à ce qu’il ne manque de rien mais ne ratent pas une occasion de lui rappeler qu’adopté, il n’est pas un véritable Avery. Et c’est bien le drame de Cyril, il ne sait pas d’où il vient, qui il est, ni pourquoi, contrairement aux autres garçons, il n’aime pas les filles.
A 7 ans, il rencontre Julian, aussi à l’aise dans ses baskets que Cyril est introverti. Julian parle comme un adulte et il ne rêve que de coucher avec le maximum de femmes.
Cyril est fasciné par Julian avant de comprendre, à l’adolescence, qu’il est amoureux de lui, amour qu’il déguisera en amitié aussi longtemps qu’il le pourra.
Car Cyril est incapable d’assumer sa sexualité et sait qu’il ne pourra ni aimer ni désirer une femme. Comme il est impensable que deux hommes s’affichent ensemble dans l’Irlande des années 60, Cyril multiplie les rencontres sans lendemain. Sa vie sentimentale est un désastre dont les souffrances sont épisodiquement atténuées par les plaisirs éphémères de sa vie sexuelle.
Il finit cependant par se fiancer avec Alice, la sœur de Julian qui idolâtre son frère et est amoureuse de Cyril en secret. Ce qui attire Cyril chez Alice c’est leur admiration commune pour Julian. Mais, devant le fiasco annoncé, Cyril avoue son amour à Julian le jour de la cérémonie. Julien lui répond par la haine et le dégoût : « la personne que je croyais Cyril Avery n’a jamais existé. (…) Si tu mourais pendant ta lune de miel, je ne verserais pas une larme ».
A peine marié, Cyril disparaît. Comme jadis sa mère biologique chassée par un prêtre, il s’enfuit. Il atterrit à Amsterdam où il pourra entretenir une liaison durable avec un médecin hollandais et connaître, enfin, quelques années d’amour et de bonheur. Mais d’autres épreuves, encore plus douloureuses, encore plus déchirantes, l’attendent.
John Boyne sait faire avancer son récit d’une manière implacable, traverser les décennies en opérant de courts retours en arrière une fois le lecteur appâté et mêler le drame à l’humour. De rebondissements en coups de théâtre, il tient le lecteur en haleine pendant près de 600 pages au long desquelles des scènes hilarantes alternent avec des moments de pure tragédie, à l’image de l’épisode où, des années après, il retrouve Julian.
Car, retournement de situation, Les fureurs invisibles du cœur se retrouvent un jour gravées sur le visage de Julian, l’amour d’enfance qui ressemble désormais à « une âme suppliciée ».
Boyne signe un livre magistral qui captive le lecteur de bout en bout malgré quelques longueurs vers la fin (seul point faible). L’imagination de l’auteur, qui semble intarissable, son sens du drame et de l’humour, ainsi que la construction romanesque des fureurs invisibles du cœur ne peuvent que susciter l’enthousiasme.
Fabrice del Dingo
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