Les Funérailles du canari (Hommage à Philip Roth)
Tu as entendu parler des funérailles du canari
Dans ce qui était le Premier arrondissement
Le jour où un cordonnier du coin
A enterré son canari ?
Ça se passait en 1920
Sur Boyden Street
Il y avait un cordonnier
Russomanno
Emidio Russomanno
Un petit vieux qui avait l’air d’un pauvre
Des grandes oreilles
Le visage émacié
Une barbiche blanche
Et sur le dos
Un costume usé
Jusqu’à la corde
Qui avait bien
Cent ans
Comme animal
De compagnie
Dans sa boutique
Il avait un canari
En cage
Ce canari s’appelait Jimmy
Et Jimmy a vécu longtemps
Et puis un jour il a mangé
Quelque chose
Qui ne lui a pas réussi
Et il est mort
Russomanno était anéanti
Alors il a engagé
Une fanfare
Loué un corbillard
Et deux voitures à chevaux
Et après que le canari
A été exposé
Sur un banc
Dans la boutique
(Russomanno n’avait pas lésiné
: fleurs
: cierges
: crucifix)
Le cortège funèbre
A traversé
Les rues du quartier
Ils sont passés
Devant l’épicerie Del Guercio
Où il y avait
Des bourriches de palourdes
À l’étalage
Et un drapeau américain
Dans la vitrine
Devant les fruits et légumes Melillo
Devant la boulangerie Giordano
La boulangerie Mascellino
La boulangerie italienne Arre « À la Bonne Croûte »
Ils sont passés devant la boucherie Biondi
Et la sellerie De Lucca
Le garage De Carlo
La torréfaction D’Innocenzio
Les chaussures Parisi
Les bicyclettes Nole
La latteria Celentano
L’académie de billard Grande
Le barbier Basso
Le barbier Esposito
Et le stand du cireur
Avec deux vieux sièges en cuir
Éraflé
Sur une estrade
Où les clients devaient grimper
Voilà quarante ans
Que ça a disparu
Tout
ça
D’après J’ai épousé un communiste, traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun (voir Philip Roth, L’Amérique de Philip Roth : Pastorale américaine, J’ai épousé un communiste, La tache, Le complot contre l’Amérique, Editions Gallimard, collection Quarto, 2013, p. 380-381).
Matthieu Gosztola
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