Les forêts du Maine, Henry David Thoreau
Les forêts du Maine, Henry David Thoreau. Trad. de l'anglais (USA) et présenté par Thierry Gillyboeuf. septembre 2012. 216 p. 8,65 €
Ecrivain(s): Henry David Thoreau Edition: Rivages poche
Si écologistes, panthéistes et autres adorateurs de la nature se réclament depuis toujours de Henry David Thoreau, il en est qui pourraient le faire de toute évidence mais qui n’en ont pas eu l’occasion, ce sont les romantiques européens. Remarquez l’inverse est tout aussi vrai. Thoreau partage assurément des sources d’inspiration littéraire avec le vaste courant romantique, de Rousseau à Goethe, à Hugo – avec un arrêt important du côté de chez Chateaubriand. Des pages entières du Génie du christianisme – toutes celles qui concernent les forêts du Nouveau-Monde – évoquent Thoreau à s’y méprendre. Qu’on en juge :
« La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement, sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là dans la savane, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissements rares et interrompus de la hulotte ; »
« Nous sommes bientôt arrivés sur les eaux calmes du lac Quakish et nous nous sommes relayés à la rame et à la pagaie pour le traverser. C’est un petit lac irrégulier, mais charmant, enclos de toutes parts par la forêt et ne laissant voir aucune trace humaine à l’exception d’une petite digue dans une anse à l’écart, pour le printemps. L’épicéa et le cèdre sur le rivage, couverts de lichen gris, ressemblaient, vus de loin, à des arbres fantômes. Des canards voguaient çà et là sur la surface et un huard solitaire, telle une vague vivante – point final à la surface du lac – riait, fôlatrait et montrait ses pattes roides, pour notre plus grand amusement. »
N’essayez pas de distinguer – à moins d’être d’éminents spécialistes de l’un ou de l’autre ! Le premier extrait est de Chateaubriand (Le génie du christianisme. Dans les forêts du Nouveau-Monde), le second vient de « les forêts du Maine » de Thoreau (Les forêts du Maine. l’homme des bois.)
Le romantisme chez Thoreau ? Non pourtant. Nous sommes plus proche d’une sorte de religiosité, de transcendantalisme de la nature. Chez lui le rapport à la nature n’a rien de purement contemplatif ou d’anthropocentrique. Au contraire. Autant la nature n’a de sens pour les romantiques que comme écrin aux passions humaines, autant chez Thoreau on a affaire à une nature sans l’homme – on peut être tenté de dire contre l’homme. Elle ne rassure pas, ne protège pas, n’accompagne pas. Elle défie. La nature sauvage, inviolée, somme les humains de faire l’expérience de leur vraie force, de leurs vraies limites. Elle met l’homme dans la position où il n’a plus d’autre ressource que lui-même, où il doit pour survivre ne compter que sur sa force, son intelligence, son adaptabilité.
« Vivre, pour ainsi dire, à l’ère primitive du monde, tel un homme primitif » (In « le voyage du retour »).
Ce n’est pas tant aux sources de Thoreau que l’on pense en lisant « les forêts du Maine » qu’à sa descendance littéraire ! Elle est immense dans les lettres américaines. D’emblée, c’est Jack London qui vient à l’esprit et à la mémoire. Le chantre des espaces sauvages, « the call of the Wild », le peintre des hommes seuls face à la nature impitoyable qu’il faut dompter pour survivre. « Construire un feu » comme l’homme primitif auquel fait allusion Thoreau. C’est aussi Herman Melville dans l’immensité des océans.
Et plus proches de nous, ce sont les « écrivains du Montana » (fussent-ils du Michigan ou de l’Oregon), Norman McLean, Jim Harrison, Rick Bass, Thomas McGuane, Raymond Carver et une kyrielle d’autres .
Ecoutez encore Thoreau :
« … Nous avons lancé nos lignes à l’embouchure de l’Aboljacknagesic, une rivière aux eaux peu profondes, vives et limpides, dont la source était située sur le Ktaadn. Instantanément, un banc de meuniers (Leuciscus pulchellus), de gardons argentés, de poissons de la famille des truites ou pas, grands et petits, rôdant dans les parages, se sont jetés sur nos appâts et, l’un après l’autre, ont atterri dans les buissons. »
La « religion de la truite » est déjà là chez Thoreau, celle que l’on retrouvera chez tous les « montaniens ». Et, au-delà de la passion des eaux, c’est le choix de la solitude, le choix écologiste, la croyance panthéiste que nos écrivains modernes des grands espaces ont puisé dans la littérature de Thoreau.
Le regard de Thoreau sur la nature est celui d’un adepte de l’objet sacré, d’un défenseur passionné de sa préservation à l’état sauvage. Son regard sur l’homme est bien plus pessimiste :
« Manifestement, les hommes préfèrent les ténèbres à la lumière ». (In « la succession des arbres en forêt »)
La présentation et la traduction de Thierry Gillyboeuf contribuent magistralement à faire de ce petit livre à la fois un joyau littéraire et une remarquable invitation au voyage dans l’œuvre du grand Thoreau.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
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