Les forêts de Ravel, Michel Bernard
Les forêts de Ravel, janvier 2015, 176 pages, 16 €
Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde
Ravel, petit homme élégant et racé, a désespéré longtemps de ne pouvoir servir la France sur le front de ses guerres quand, finalement au printemps 1916, il parvient à se faire engager volontaire dans les artilleurs où il sera conducteur d’ambulance de l’armée française. Il a quarante-et-un ans.
C’est dans une prose élégante et fine que Michel Bernard retrace ce parcours des deux années de la vie du « grand » homme et musicien que l’on connaît.
« Il partit un matin d’avril 1916, au volant de sa camionnette, le casque sur la tête et le masque à gaz à portée de main, sur la route nationale de Bar-le-Duc et Verdun ».
On suit les routes et les chemins, les lieux traversés, les hommes croisés avec un Ravel non pas fasciné mais curieux de cette guerre, de ses trajectoires, courageux sans nul doute, généreux au-delà de tout avec ceux qui vont au combat, humaniste et, patient « comme un militaire », ne s’économisant jamais. Se sentir utile, il en avait besoin, en conduisant ces hommes broyés par la canonnade, lui pourtant déjà musicien célèbre.
« On lui avait parlé de ce que les camarades appelaient la musique du front. Il fut surpris pourtant, car plus qu’il ne l’entendit, il reçut en plein la moelleuse et profonde pulsation de la canonnade. Elle semblait ne pas s’adresser aux oreilles, mais frapper et s’amortir au ventre d’où elle rayonnait dans tout le corps ».
C’est durant ce séjour dans la Meuse et alors qu’il croit la musique définitivement fermée à lui, et à cause de cette guerre qui en avait bouché l’horizon, « dévoré tout l’avenir et l’avait livré tout entier au présent », qu’il se remet à jouer sur un piano trouvé dans une salle de l’hôpital où il vient de conduire l’ambulance chirurgicale n°13 des Monthairons. C’est là qu’il jouera La Mazurka en ré majeur de Chopin sous les yeux ébahis des soldats blessés et de leurs soignants.
Toujours plus attentif au courage et à la force de ces hommes qu’il observe dans l’épreuve, il sera envoyé au Nord-Ouest de Verdun et s’installera dans la forêt comme les autres. Il y restera huit jours, à lire, à écrire, à fumer et dormir, partageant tout avec ces hommes du feu. Pas de peur, ni de craintes, ni d’angoisses, pas d’écœurements à la vue des blessures, du sang, de l’odeur, il est là dans un calme et un détachement dont il ne se serait jamais cru capable. « Ravel n’aurait pas voulu être ailleurs » écrit Michel Bernard. Pas être ailleurs que dans cette forêt, ne jamais la quitter : « Elle était l’enfance et le refuge, la mère des contes et des songes. Elle était comme l’océan, elle était l’océan sur la terre ».
Peu à peu le désir de musique, celui d’écrire de la musique va grandir et s’imposer à lui. A l’écoute du moindre chant d’oiseau dans les branches des arbres, assis contre un gros tronc « il notait au crayon le chant des oiseaux ». Cependant, il est épuisé par le surmenage et les efforts successifs qu’il fait pour se rendre utile aux autres, et il craint d’être déclaré inapte et recalé dans un bureau, lui qui avait déjà remisé ses rêves d’aviation. Il est alors heureux quand ses amis le fêtent comme un véritable « poilu » et « toute la semaine il sortit en uniforme, sans le casque, remplacé par un képi neuf ». A la mort de sa mère qui le laisse profondément meurtri, il se laisse réformer à titre temporaire.
De la forêt de la Meuse où il lit Nerval ou Le Grand Meaulnes, à la forêt normande où il compose Le Tombeau de Couperin, deux années se sont écoulées, remplies d’une expérience, celle de la guerre à laquelle il voulait tant participer et qui n’a cessé de porter l’âme de son œuvre. Cette guerre qui a décuplé son énergie, qu’il a faite malgré tout et peut-être mieux que quiconque, il en refusera la légion d’honneur avec colère, trouvant humiliante cette décoration « épinglée sur sa musique ». Il avait fait la guerre avec les humbles et voulait qu’on lui fiche la paix. Il dédiera six pièces de la Suite Française qu’il écrivit pour le piano à Lyons-La-Forêt, à autant de ses amis musiciens tués au combat. Réformé à titre définitif à l’automne 1917, il achèvera Le Tombeau de Couperin.
Après la guerre, rendu à un désespoir et une mélancolie profonde, Ravel se retire chez un ami qui lui donne les clés de sa maison avant qu’il ne fasse l’acquisition d’une maison bien à lui à quelques kilomètres de la forêt de Rambouillet, entre silence et paix retrouvés, il composera le reste de son œuvre.
Marie-Josée Desvignes
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