Les Fenêtres, Hanna Krall (par Stéphane Bret)
Les Fenêtres, Hanna Krall, avril 2021, trad. polonais, Margot Carlier, 149 pages, 18 €
Edition: Editions Noir sur Blanc
La Pologne a capté l’attention dans les années soixante-dix : les observateurs ont assisté à la création d’un syndicat libre dans ce pays encore sous la domination du communisme, Solidarnosc. Le pape Jean-Paul II a contribué également, par son engagement et son prestige moral, au tournant de 1989, qui a engendré la disparition du communisme dans la partie orientale du continent européen.
Hanna Krall, femme de lettres polonaise, décrit dans ce roman, Les fenêtres, non pas l’histoire de la Pologne contemporaine, mais des situations précises, des ambiances, des caractères.
L’action du roman est située en 1984, juste après la levée de l’état de siège. Celina, l’héroïne du roman, est une jeune reporter photographe, elle est âgée d’une quarantaine d’années et assiste au procès de l’étudiant Grzegorz Przemyk, jeune étudiant assassiné par la milice à l’occasion d’une manifestation.
Pourtant, le passé de la Pologne ne va cesser de s’insinuer dans le récit et d’interférer dans le déroulement du roman. La mère de Celina a en effet caché pendant la guerre une jeune femme juive et sa fille Paula. Hanna Krall emploie une technique narrative qui lui permet d’apostropher la narratrice, de questionner Celina par une interrogatrice non désignée.
Ce qui est pertinent dans ce roman, c’est le constat fait par l’auteure du décalage quasi-permanent des actions humaines :
« Le moment le plus important d’une vie est d’une durée variable. Trois semaines pour le docteur Marek Edelman – le temps de l’insurrection du ghetto. Trois jours pour le serrurier Lechoslaw Gozdzik – le temps de la révolte ouvrière d’octobre 1956 (…) Les gens acceptent mal que leur temps est passé. Ils continuent à s’affairer, se hâtent on ne sait où, cherchent des endroits où ils pourraient encore être utiles ».
Hanna Krall, à travers cette reporter et ses amis et relations, des journalistes, des étudiants, un critique d’art, parvient aussi à restituer l’ambiance qui pouvait marquer les conduites dans un régime totalitaire : la sensation d’être épié en permanence, suivi, écouté clandestinement. Ainsi, un agent de police présente-il à Celina une photo où elle figure en compagnie d’une autre personne. Celina s’interroge : qui a pu prendre la photo ? Hanna Krall pointe du doigt les travers du journalistiquement correct : « En bataillant avec les faits, j’ai parfois l’impression de gagner. De réussir à raconter non pas comment les choses étaient, mais comment elles devraient ou auraient dû être. Mais immédiatement, la réalité s’impose et prend le dessus ».
Le dénouement du roman est amené très logiquement, il reliera avec précision le motif d’une photo faite par roman, Les fenêtres, et dévoilera des éléments décisifs sur l’immeuble pris en photo et ses anciens occupants, du temps de la seconde guerre mondiale… Hanna Krall a également le mérite de nous familiariser avec certains noms de l’intelligentsia polonaise, pas forcément connus du lectorat français : Miron, roman, poète, romancier et dramaturge polonais, Jan Kucharzewski, premier ministre du gouvernement polonais en 1917 et 1918, historien.
Stéphane Bret
Hanna Krall occupe une place importante dans le paysage littéraire polonais. Elle a publié Les Retours de la mémoire (Albin Michel, 1993), Là-bas, il n’y a plus de rivière (Gallimard, 2000), Prendre le bon Dieu de vitesse, son entretien avec Marek Edelman (2005, Gallimard).
- Vu : 1494