Les Fantômes de Théodore, Martine Rouhart (par Patrick Devaux)
Les Fantômes de Théodore, éditions Murmure des soirs, mars 2020, 118 pages, 16 €
Ecrivain(s): Martine Rouhart
D’emblée le roman nous propose, et dès les premières pages, une ambiance progressive digne des grands maîtres du suspense.
Dans cette réalité pensée sans cesse en trois dimensions, comme souvent au théâtre ou au cinéma, la géométrie de l’instant arpente un décor construit autour d’une idée principale : Théodore a disparu.
« Ah non, le vide ce n’est pas rien, c’est bien plus vertigineux. Sa parka n’était pas accrochée au porte-manteau. Ses pantoufles, abandonnées sur le paillasson m’ont bêtement serré la gorge ».
La façon de penser les personnages oblitère le temps et l’espace d’une façon originale et inhabituelle dans ce roman conçu comme une sorte de « script-journal » où les protagonistes semblent se regarder jouer leurs propres intrigues, l’auteur agissant depuis l’extérieur en endossant la psychologie de chaque individualité à tour de rôle, ce qui demande une maîtrise absolue dans l’évocation des sensibilités évoquées suivant leur caractère et le contexte.
Les scènes sont datées, ce qui à l’appui de la progressivité des évènements donne une forte consistance aux évolutions en cours, servies par un style descriptif détaillé servant surtout la cause psychologique.
A l’occasion, le lecteur se sentira révélé à lui-même dans un vécu qui lui permet, quasiment, d’entrer en scène et d’improviser un suivi de rôle dans l’imaginaire qu’il se fait des personnages. Ce n’est pas du théâtre mais les personnes se répètent, à tour de rôle, leur vie, à très haute voix, autour d’un axe habilement intriguant, autrui faisant office d’écho à leurs tentatives parfois désespérées de communiquer de grandioses non-dits menant au quiproquo :
« (Charlie) Une pensée va et vient, sournoise et insistante. Ce n’est pas normal de s’éclipser de nos vies, de dépenser tant d’argent pour un inconnu qui finira par s’en aller d’un jour à l’autre sans crier gare. Papa ne serait-il pas malade ? Je veux dire malade du cerveau, incapable de prendre de bonnes décisions ».
Flirtant habilement avec de ci de là des problèmes humains évoqués en termes d’incommunicabilité, Martine fera de Kamal, un migrant, un des personnages principaux, déclencheur de processus à de multiples rebondissements rappelant que, comme pour Théodore, les apparences peuvent être trompeuses.
Il y a dans ce roman une kyrielle de fantômes au moins aussi préoccupants que l’idée qu’on peut s’en faire, le destin lui-même se jouant des vérités devenues des actes manqués occasionnés, cette fois, par les fantômes du passé.
Mais peut-être suffit-il d’un coup de dé impromptu et migré d’ailleurs pour que tout bascule ?
Et… qu’en émane une Humanité insoupçonnée…
Patrick Devaux
Martine Rouhart a publié plusieurs romans. Les derniers ont paru aux éditions Murmure des Soirs. Également poète, elle a publié récemment aux éditions Le Coudrier. Vice-présidente de l’Association des Ecrivains Belges (AEB), membre du Conseil de l’Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie (AREAW).
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