Les enfants d’Izieu, Rolande Causse-Gibel, Gilles Rapaport (par Yasmina Mahdi)
Les enfants d’Izieu, Rolande Causse-Gibel, Gilles Rapaport, Éditions D’eux, avril 2024, 74 pages, 18 €
Izieu, 1944
Rolande Causse-Gibel (née en 1937, fondatrice de l’association La Scribure en 1975) est l’auteure d’un long poème, Les enfants d’Izieu, dont la déportation et l’assassinat sont de la responsabilité de Klaus Barbie (1913-1991, criminel de guerre allemand, officier de police SS sous le régime nazi), après la dénonciation d’un Français de Metz. Léa Feldblum (1918-1989), animatrice scolaire, a été la seule survivante de la rafle d’Izieu, ce dont elle a témoigné au procès de Klaus Barbie.
Ce texte émouvant et sobre nous fait revivre les ultimes moments, les petits mots de ces quarante-quatre innocents, âgés de quatre à dix ans, déportés « Le premier jour des vacances de Pâques / C’était le JEUDI 6 AVRIL 1944 ». Chacun de ces enfants a un vécu et une provenance différents, venus de toute l’Europe se réfugier à Izieu (commune du département de l’Ain, dans le Bugey). En arrière-fond, la guerre résonne, la peur de la délation, même si Radio-Londres diffuse des nouvelles rassurantes. Les enfants s’amusent, rêvent, dessinent, colorient, écrivent, fabriquent de petits objets, bien que séparés de leurs familles.
« SCHNELL VITE SCHNELL SCHNELL », l’interjection brutale hurlée par des soldats allemands, interrompt le quotidien de ce « havre de paix » qu’est la maison d’Izieu. La France vit un moment dramatique où « Flottent des drapeaux à croix gammée / Au-dessus des monuments / Et aux fenêtres des bâtiments publics ». L’insouciance de la jeunesse est brisée par ces arrestations arbitraires. Ensuite, les journées éprouvantes sont déclinées et avec elles leur lot d’angoisses et de maltraitances. Les fillettes et les garçonnets ont des prénoms et des noms d’emprunt pour cacher les consonnances bibliques : Sarah, Esther, Barouk, Henry-Chaïm… Commence alors le long calvaire de l’internement, tout d’abord au camp de Drancy où les enfants souffrent de faim, de froid, de fatigue, d’insomnies, de violences, d’insultes antisémites, jusqu’à la destination finale à Auschwitz-Birkenau. Et puis, « Tout cri / Toute parole / Ont cessé ».
Cet album jeunesse atteste de l’atroce réalité de ces quarante-quatre enfants et de ces sept adultes promis au martyr, d’origine ashkénaze ou séfarade, exterminés parce que Juifs. Les illustrations de grande qualité sont de Gilles Rapaport (né en 1965, dessinateur, formé à l’Union Centrale des Arts Décoratifs ; Grand-père (1999), son livre le plus emblématique, est étudié en classe depuis des années). Ici, les œuvres conçues parfois pleine page, au format de 27x19,7 cm, complètent ce récit tragique. Le parti-pris graphique est celui du noir profond, des déclinaisons de gris, du plus foncé au plus clair sur plan blanc. Les taches sombres comme du sang séché menacent l’intégrité de la page blanche – l’intégrité physique des innocents voués à la torture ? Des aplats à l’encre noire, noir de fumée, abolissent la perspective, la brouillent d’ombres inquiétantes. Les visages sont imaginés, schématisés, les expressions et les corps sont peu à peu envahis d’obscurité, d’opacité, de cendres. L’effacement des traits du temps de l’ère heureuse se poursuit jusqu’à l’implosion définitive, la coulure, l’abstraction, la néantisation. Certains lieux reproduits sont reconnaissables entre tous, situant des lieux « innommables ».
Cette version nouvelle des Enfants d’Izieu, réécrite par Rolande Causse-Gibel, a donné lieu à un CD dit par Bulle Ogier, et à un opéra-oratorio de Nguyen-Thien Dao. Cet album jeunesse relate un pan de l’histoire destinée au jeune public à partir de 10 ans. Il a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Yasmina Mahdi
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