Les cyprès de Patmos, Antoine Silber
Les Cyprès de Patmos, février 2014, 125 pages, 17 €
Ecrivain(s): Antoine Silber Edition: Arléa
Le joli titre ! Carte postale idéale en cette fin d’hiver ; la Mer Égée, et là-haut, pas loin des côtes turques, une île grecque comme on en voit dans « Thalassa » ; on entendrait presque la musique du générique… Et, de se dire, parce qu’on se souvient de son écriture fine et sensible, et de ses histoires plutôt charpentées – ce genre guide bleu ? Antoine Silber ? Serait-ce un leurre ?
Et nous, de lire, en regardant de plus près ce livre-vie, bien plutôt que livre-balade, qui nous emmène, « empruntant le vieux ferry, tout blanc, qui se traîne, qui part du Pirée à trois heures de l’après-midi et arrive à Patmos à onze heures du soir ». Petit, le bouquin, et simple : le couple Silber achète sur l’île un « spitaki », micro-maison, « un rêve de maison ». Trois bouts de murs chaulés, posés au milieu d’un jardin-fourre-tout : « là-haut, il y a un à-plat, on voit toutes les îles, les cailloux, autour de Patmos, et la Turquie, l’Asie… ». Le contexte est posé – ce n’est pas le moindre intérêt du récit : la Grèce des années-crise, de la débrouillardise au bord du gouffre, ferraillant avec une Europe pas généreuse d’emblée. « Kostas n’avait pas été payé depuis deux ans ; il ne roulait plus en voiture et n’allait plus manger à la taverne ».
Mais, fabriqué de telle façon, ce livre, qu’on peut le traverser en choisissant ses ficelles – le rêve de tout lecteur.
L’analyse historico-religieuse, légère mais instructive, saupoudrée de ci, de là (est-ce que Saint Jean, celui des évangiles, n’aurait pas, par hasard piétiné le jardin, il y a des milliers d’années, en revenant d’Ephèse ?). On sourit parfois, même si on sent chez Silber une volonté, touchante, de se poser enfin quelque part, en compagnie – on va dire – d’ancêtres – et Saint Jean ! ma foi !
Le côté – hilarant, et informatif aussi – de l’achat, puis des travaux de cette acquisition… chemin de croix propre à tout propriétaire, pensez-vous ? tout autre chose ! à la Grecque ! (« en Grèce, on paye en liquide, et on ne recompte pas ! I trust you ! ») ; qui, plus est, à la manière de la Grèce en crise ! angoisses : « les ventes de maisons en Grèce ; tu signes avec un propriétaire, il s’en présente un autre, un frère, un neveu qui refuse de vendre et vous engueule en plus ». Les travaux avancent – enfin, c’est compliqué : (« il va falloir convoquer les ânes, car le camion ne monte pas »). Et l’on fait connaissance – manière transposée de curé de Cucugnan – avec les litiges de voisinages : « Eftimios était là, dans sa grande chasuble – (le pope) il me montrait les trous que j’avais creusés dans le chemin (pour planter de petits cyprès de la montagne, sauvages et parfumés) ; il avait l’air sombre – ego ! ego ! Le chemin ne nous appartenait pas, enfin, pas complètement… ». Et, puis, l’envers du décor, le Meltem de l’hiver, la mer Egée noire, la pluie… la déprime, c’est peu dire… Les usages, les fêtes – Pâques, somptueuse et fraternelle, aux couleurs d’œufs rouges ; partie documentaire, glissant dans l’écriture…
Et encore – subtil, murmurant, retenu, pudique, comme on nous ferait confidence : le couple – lui, son goût lointain de la solitude, de ces rivages, de ces gens ; elle, comme importée à ses côtés, blonde et enthousiaste, mais ces hivers ! cette folie pour Saint Jean ! Les enfants à Paris… comme on dit dans la bande-annonce des films – va-t-elle tenir ?
Les dernières pages appartiennent à Antoine, et aux gens de là-bas :
« Je longeais les murs de vieilles pierres de maisons blanches et basses. Il y avait des odeurs d’eucalyptus et de jasmin… C’était… la Grèce qui allait sauver l’Europe… qui avait besoin de la Grèce comme l’ombre a besoin de la lumière… et ça n’a pas de prix, la lumière… ».
Oui, joli, le livre ! Tout, sauf un guide bleu/mer Egée.
Martine L Petauton
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