Les coups de griffe d’Alain Faurieux
Pauvre folle (Nanar primeur), Chloé Delaume, Le Seuil, août 2023, 240 pages, 19,50 €
Dans une veine bien française (cavalier noir…), un petit volume qui concentre tous les clichés du siècle : voyage vers Heidelberg (la littérature, l’occident, les valeurs, tout ça), quinquagénaire se retournant sur son passé, maladie mentale, choc de #metoo, matricide et sexualité fatiguée. Dès l’avatar de l’auteur le lecteur sait que la soupe sera tiède. Clotilde Mélisse, vraiment ? Petite définition-du Journaldesfemmes bien sûr : « La mélisse soulage les ballonnements, les douleurs liées au foie, et apaise en cas de nervosité, de dépression légère, d’hypertension. Elle possède bien des propriétés à mettre à profit dans les problèmes cutanées (sic), les mycoses et l’herpès labial ».
En moderne Poucette notre voyageuse va égrener les souvenirs posés sur sa tablette ferroviaire, qui vont organiser son récit et marquer son itinéraire d’enfant du siècle. Belle idée (le livre fourmille d’idées), dommage que l’écriture ne soit pas à la hauteur. Attention, extrait essentiel (fait souligné par de nombreux critiques professionnels, donc très sérieux) : « La forme et la texture de ses souvenirs varient, mais tous sont minuscules, à peine un centimètre de long, de large, d’épaisseur, de diamètre. Certains sont durs, ronds et compacts… Quelques-uns sont en grappe, rattachés par des filaments… Elle les dispose en lignes, par ordre de taille et de couleur ».
Je vous laisse trouver en quoi ces lignes fondatrices me laissent aussi perplexe que La Perle de Grand Prix…
Dans les meilleurs moments on se prend à croire (à espérer, à vouloir croire) que Delaume se moque d’elle-même, des livres à la mode. Moments d’illusion. Au détour d’un paragraphe une question purement grammaticale ravive notre intérêt : « de la gueule de la chatte jaillit, dans un hoquet fébrile, engluées de salive, des pelotes de poils courts mêlés de chlorophylle ». Pires moments ? L’humour : « Le lectorat averti aura soin de noter que si Guillaume se comportait de manière plus que discutable, Clotilde avait bien souvent à son contact de vilaines réactions de patriarcateux ». Et ainsi de suite aurait dit Vonnegut.
Le plus décevant c’est qu’il suffirait de pas grand-chose. Une distanciation ironique, un clin d’œil blasé, un pas de côté, un écart. Le sujet (bipolaire scotchée par pédé s’attaque à ses nœuds gordiens) appelait à l’outrance, ou à la crudité, ou à l’intime, à la meurtrissure. Nous n’aurons droit qu’à la platitude du journal ferroviaire. La couverture nous proposait la Reine de pentacle inversée, nous ne trouverons qu’une Barbie un peu passée.
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Sarah, Susanne et l’écrivain (Nanar express), Éric Reinhardt, Gallimard, Coll. Blanche, août 2023, 432 pages, 22 €
En lice pour le Goncourt. Que dire ? Un narrateur (fictif) nous propose les échanges (dialogue, mail) entre l’Ecrivain (fictif) et Sarah (fictive 1). Échanges sur la transposition de l’histoire de Sarah en roman : Susanne (fictive 2), son mari et ses Nenfants.
Oh la la, quel jeu de miroirs Madame Michu (plus quelques apartés sur les fantasmes de l’Ecrivain). Et que même ça parle de la société patriarcale et de comment elle malmène les femmes au bonheur un peu mou.
Dommage, tout ça m’a emm. Copieusement. Les rares fois où j’ai cru y trouver un peu d’ironie ou de second degré c’était sans doute une erreur.
Techniquement…, oh puis on s’en fout.
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Psychopompe (Navet de compétition), Amélie Nothomb, Albin Michel, août 2023, 162 pages, 18,90 €
Sous une couverture ridicule, un contenu bien pire. J’ai décidé de lire la chose après avoir lu deux trois interviews encensant la dame (Le Monde ? Les Inrocks ?) ou des posts vantant son courage. L’excursion nombriliste tourne rapidement à l’auto-promotion médiumnique (Amélie, la voix des morts. Tél. au…).
Une des plus belles phrases (le ridicule n’y fait qu’une brève apparition) : « Chaque week-end, nous allions dans une cabane au fond de la forêt, upstate New York, en un lieu d’une sauvagerie à peine concevable. La gent aviaire y pullulait ». Le fantasme ornitho-philosophico-climatologique est un fil rouge admirable : « Lorsque les températures deviennent par trop négatives, certains oiseaux émettent un chant d’une beauté déchirante. Il n’y a pas d’explication biologique à cette splendeur. La seule que les ornithologues ont donnée est celle-ci : la révélation de la beauté diminue l’angoisse due au froid ». Pensée ou écriture, on s’envase au lieu de s’envoler.
Amélie se rêve en Archaeopteryx : « Il y a des millions d’années, un dinosaure a conçu le désir délirant de voler. Ce pachyderme a mis en place un processus de dément dans le but d’accomplir un rêve improbable. Quelle que fût son intelligence, il devait sentir qu’à supposer que cela se réalise un jour, ce serait au terme d’une durée si formidable qu’il n’en profiterait pas, ni lui, ni ses enfants, ni ses arrière-petits-enfants ».
Le plus gênant dans ces quelques pages, c’est de nous amener à un même niveau d’incrédulité face à un viol (par des mains sans corps) qu’à des dinosaures désireux de voler. Simplement parce que la minable mise en scène, l’artifice du mauvais écrivain y sont les mêmes. Offense à la littérature ET aux femmes. L’interview : « Tout le monde sait que dans ces pays-là il ne faut pas se baigner ». Le livre : « Ils ne nageaient jamais. Quand je les invitais à me suivre dans l’eau, ils déclinaient ma proposition. Il n’y avait pourtant aucun interdit à nager ».
Bientôt un grand prix littéraire, peut-être même international !
Alain Faurieux
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