Les Couleurs de l’instant, Nouvelles impressionnistes, Hubert Heckmann, Céline Servais-Picord, Tony Gheeraert (par Olivia Guérin)
Les Couleurs de l’instant, Nouvelles impressionnistes, Hubert Heckmann, Céline Servais-Picord, Tony Gheeraert, Éditions des falaises, 2020, 190 pages, 15 €
Nouvelles impressionnistes : et si l’impressionnisme était aussi littéraire ?
« Et si l’impressionnisme était aussi littéraire ? » : voilà l’ambitieuse question à laquelle tente de répondre l’anthologie Les Couleurs de l’instant, Nouvelles impressionnistes, parue aux éditions des Falaises en 2020 (textes choisis et présentés par Hubert Heckmann, Céline Servais-Picord, Tony Gheeraert).
De fait, la question n’est pas véritablement nouvelle : la critique littéraire utilise l’expression d’« impressionnisme littéraire » pour rendre compte du style d’écriture mis en œuvre par certains auteurs du 19e siècle qui cherchent à transposer dans le domaine de l’écriture littéraire les techniques des peintres impressionnistes. On peut penser par exemple à Octave Mirbeau, ou encore par certains aspects à Zola ; l’écriture des frères Goncourt a également été rapprochée d’une esthétique impressionniste.
Mais l’apport spécifique de cet ouvrage consiste dans le projet de réunir autour de la question de l’impressionnisme littéraire des textes variés relevant d’un genre spécifique : pour les éditeurs de cette anthologie, le genre de la nouvelle présenterait des affinités particulières avec l’impressionnisme littéraire. En quoi consiste une telle esthétique ? Il s’agirait d’une écriture de la notation, cherchant en particulier à capter des impressions fugaces, des réminiscences, les rendant par petites touches, et produisant des effets de flou, de fondu, d’infinies nuances.
Certaines des nouvelles réunies dans ce recueil constituent de belles illustrations de ce style d’écriture, en développant un art de la suggestion. Les éditeurs ont choisi de nous faire découvrir quelques petits bijoux de nouvelles, au premier rang desquelles je citerais « Camaïeu de gris avec une pointe de rouge », de Jeanne Desaubry, texte très sensoriel, qui s’éloigne du narratif pur pour nous donner à voir et à ressentir différents instantanés de vies de femmes. Ou encore « Petites traces » de Sylvain Ledda, magnifique nouvelle tout en délicatesse sur le moment où un amour se finit, qui fonctionne par juxtaposition de souvenirs et de sensations ténues, loin de tout style psychologisant. Dans diverses autres nouvelles, certains passages descriptifs (par exemple dans « Début » de Céline Servais-Picord) fonctionnent par télescopage d’impressions ou de réminiscences, mimant ainsi les sensations et impressions changeantes que peut éprouver un observateur face à un paysage ou un tableau. Ces passages donnent à expérimenter par bribes ce que pourrait être une écriture impressionniste.
Mais au fond, il semble que les textes de l’anthologie aient été réunis autour d’un principe de cohérence avant tout thématique : la plupart des textes ont été sélectionnés dans la mesure où ils parlent de l’impressionnisme en peinture, bien plus qu’ils ne parviennent à asseoir une conception à proprement parler scripturale de l’impressionnisme littéraire. Ainsi, l’anthologie se signale principalement comme caractéristique d’un discours sur la peinture impressionniste. Discours tantôt d’adhésion et d’admiration, tantôt de prise de distance (certains textes parodient l’impressionnisme, dont le Au-dessus du royaume bleu des mouches, de Max Obione). On y trouve aussi diverses descriptions de tableaux impressionnistes, insérées dans des narrations dont les personnages principaux sont des figures de peintres. Parfois seulement, ces descriptions sont l’occasion de produire une tentative de transposition littéraire du ressenti que peut avoir l’observateur d’un tableau.
De fait, si les éditeurs ont misé sur la diversité de textes présentant une palette d’écritures variées (la sélection va de classiques du genre de la nouvelle comme l’attendu Maupassant, à des auteurs contemporains de plus faible diffusion), on peut regretter une certaine hétérogénéité du recueil, tant sur le plan de la qualité littéraire des textes que sur celui de l’appartenance au genre de la nouvelle. En effet, tous les textes réunis ici ne sont pas à proprement parler des nouvelles : il peut s’agir de textes théoriques sur la peinture (extraits du carnet de notes d’Eugène Boudin), de textes de circonstance (Zola, L’Enterrement de Flaubert), ou encore de fragments non narratifs en prose (Philippe Delerm, « Le grand et le petit » – d’autres textes de cet auteur auraient d’ailleurs pu constituer des illustrations plus caractéristiques de ce qu’on peut appeler une écriture impressionniste). Aussi peut-on avoir l’impression que le sous-titre de l’anthologie Nouvelles impressionnistes nous mène un peu sur une fausse piste. Au final, on peut regretter que la spécificité de l’impressionnisme littéraire de manière générale, et de la nouvelle impressionniste en particulier, n’ait pas été davantage mise en valeur dans cette anthologie.
Olivia Guérin
Aix Marseille Univ, CNRS, LPL, Aix-en-Provence, France.
Chronique précédemment parue en décembre 2022 sur le site de la revue Rue Saint-Ambroise :
http://ruesaintambroise.weebly.com/nouvelles-impressionnistes.html
- Vu : 733