Les corps brisés, Elsa Marpeau
Les corps brisés, mai 2017, 240 pages, 19 €
Ecrivain(s): Elsa Marpeau Edition: Série Noire (Gallimard)
C’est un roman au ton incisif, nerveux à l’image de l’héroïne Sarah, ancienne coureuse automobile qui, au faîte de sa carrière, subit un grave accident au cours d’un rallye et devient paraplégique. Bloquée dans son élan de vie, dans son dynamisme et son parcours professionnel, Sarah est hospitalisée à « L’Herbe bleue », un centre de rééducation isolé en haute montagne et dirigé par Virgile Debonneuil, surnommé le « docteur Lune ». Celui-ci est entouré de son équipe – infirmière, psychologue, aide-soignant, kinésithérapeute, facilitateur de réinsertion professionnelle, etc. Le rendez-vous des « corps brisés » est ici programmé, accepté, scénographié. On pense au sanatorium de Davos si bien décrit par Thomas Mann dans La Montagne magique, dont un extrait figure en exergue : « Il y a deux routes qui mènent à la vie. L’une est la route ordinaire, directe et honnête. L’autre est dangereuse, elle prend le chemin de la mort, et c’est la route géniale ». Nous sommes ici, clairement, dans un roman de survie, de survivance. Qu’il soit inspiré de faits réels importe finalement assez peu car c’est l’intériorité du personnage blessé qui est ici retransmise et donne sa coloration au roman : le monde de la performance est brutalement confronté à l’anormalité, au handicap, à la différence, sans concession. Et le déni fait place, peu à peu, par des voies détournées, à l’acceptation.
« Sarah voudrait ne pas entrer dans leur vie, ne pas entrer dans le centre. Elle n’est pas des leurs. Pas d’ici ». Et, plus loin : « A l’instar de ses bras, son cerveau s’est mis en marche depuis que ses jambes ne le peuvent plus. Sa mémoire, ses réflexions, sa capacité à imaginer ».
Les corps brisés est également un roman policier sans policier puisque c’est Sarah, livrée à elle-même, cédant à des tendances dépressives et un peu paranoïaques, qui mène une enquête hasardeuse après la disparition inexpliquée de sa voisine de lit, une jeune femme artiste-peintre mère d’un petit Mathieu. Le rythme, ralenti par nécessité, de l’histoire s’accélère alors tandis que l’on découvre la noirceur de l’âme humaine confrontée à la volonté désespérée de sauver sa peau de Sarah.
La série noire, qui depuis sa création promet au lecteur de l’« empêcher de dormir », mérite une fois encore bien son nom. Ce page-turner d’Elsa Marpeau offre des formulations saisissantes : « Sarah ouvre les yeux. Elle touche le mur, sursaute devant le contact froid, rugueux, de la pierre, ses aspérités, comme des écorchures. Son esprit occupé de visions brèves et pénibles. La tête douloureuse. Elle se rendort ». Ou bien encore : « Mais les gens, Sarah en particulier, ne sont pas faits pour être enfermés. Fracturés, immobilisés. Son organisme s’est mis en grève. Il s’est arrêté de fonctionner. Noué, bouché, pourri de l’intérieur ».
La renaissance, si elle a lieu, sera longue, lente et semée d’obstacles. C’est l’intérêt de ce livre bien construit.
Sylvie Ferrando
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