Les concepts ne meurent pas, eux ! Un hommage posthume à Antoine Culioli, par Line Audin
Presque un demi-siècle après mai 68, le 9 février 2018, le professeur Antoine Culioli tire sa révérence. Il laisse derrière lui un modèle théorique révolutionnaire pour appréhender le langage à travers les langues naturelles, un modèle complexe, qui résiste à toute approche superficielle ou rapide. Celles et ceux qui se sont accroché(e)s, notamment des didacticien(ne)s et des enseignant(e)s de langue, n’ont pas regretté leurs efforts. J’en fais partie. Etudiante en anglais, puis enseignante en collège difficile, j’ai cherché à comprendre l’essence de sa théorie, convaincue que j’y trouverais des clés pour aider mes élèves à saisir les relations complexes entre langue et réalité. Au bout de cinquante ans, je crois y être arrivée avec le « ARB », un outil directement conçu à partir de concepts empruntés à sa théorie des opérations énonciatives.
Le monde de la recherche a poliment reconnu sa contribution géniale à la linguistique mais lui a préféré d’autres courants, plus porteurs, plus séduisants, plus faciles d’accès. Il est vrai que, plutôt que de privilégier le jeu institutionnel des communications et articles à tout-va, il a opté pour l’« intime », lire les Anciens, se frotter au fonctionnement de langues très éloignées, le japonais, ou très proches, le français parlé, en tirer quelques concepts, peu nombreux mais étonnamment puissants, qu’il n’a jamais abandonnés, sans cesse mis à l’épreuve, repris et affûtés.
L’« intime », c’est aussi son séminaire hebdomadaire de la rue d’Ulm. Là, il pouvait sereinement dérouler le fil d’une pensée foisonnante en train de se construire, devant un auditoire fidèle. Philosophes, traducteurs, linguistes, enseignants, chercheurs, étudiants, tous attentifs, assidus, conscients de l’importance de ce qui se disait, ravis d’être égarés dans les méandres délicieux de son esprit curieux, désarçonnés par la banalité apparente des énoncés qu’il affectionnait. Un propos entendu dans la rue faisait l’objet d’une analyse méthodique, intuitive, toute en finesse, jusqu’au jaillissement de l’explication.
Il nous reste quelques concepts théoriques fondamentaux, les remarquables prolongements de ses collègues et disciples – Danielle Bailly, Janine Bouscaren, André Gauthier, etc. – et l’envie de continuer à faire connaitre la pensée et les travaux d’Antoine Culioli.
Line Audin
- Vu: 2409