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Les chercheurs de lumière, Révolutions minuscules, Séverine Jouve (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein le 27.03.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, L'Harmattan

Les chercheurs de lumière, Révolutions minuscules, Séverine Jouve, L’Harmattan Coll. Amarante, janvier 2018, 154 pages, 16 €

Les chercheurs de lumière, Révolutions minuscules, Séverine Jouve (par Pierrette Epsztein)

 

« À certains moments de l’existence surgissent des crises. Elles dévoilent brutalement le caractère illusoire de ce que l’on avait pu croire, jusqu’alors, fondamental ».

Trois personnages inscrits dans trois champs artistiques différents, l’écriture pour Marie, la peinture pour Suzanne et la musique pour Alexandre, se croisent, se frôlent, sans s’accoster. Pourtant ces rencontres ne doivent rien au hasard, chacune d’elles charrie dans ses bagages d’autres contacts qui tous obéissent à une nécessité. Lucien Montaldo, le poète-pédagogue, l’ami discret, servira d’intermédiaire et de conseiller bienveillant, capable d’écoute et d’accueil.

Séverine Jouve, dans un roman flamboyant, Les chercheurs de lumière, nous fait entendre leur voix et nous permet de les suivre lors d’un épisode charnière de leur existence. Trois lieux, une terrasse, un pavillon, une clairière, vont jouer un rôle capital dans chacune de ces trois trajectoires. Ces lieux servent à structurer l’ouvrage en trois parties qui en fait n’en font qu’une.

Au fil du livre, ces trois Figures vont partir en quête d’eux-mêmes. Durant cette traversée, des personnages secondaires vont émailler le récit. Ils ont un nom, un passé, une vieille demeure porteuse d’une lignée, des abris secrets qui, chacun, ont une influence déterminante dans le cours du voyage que nous entreprenons. Et ainsi, émerge en eux la possibilité « D’avoir, sans préméditation, décelé un peu de l’Énigme : celle de la création ».

Pour chacun de ces trois personnages, qui jusqu’à présent se sont contentés de suivre une autoroute, un incident minuscule provoque un cataclysme intérieur qui va bouleverser leur trajectoire balisée. Devant l’obstacle, la tentation de fuite est commode pour échapper au saut inéluctable qu’exige le risque d’oser. Ils vont devoir repasser par des chemins broussailleux. Des réminiscences de l’enfance vont réveiller le poids de souvenirs malheureux et heureux. Le lecteur réalise que c’est la lignée des femmes qui est le plus souvent chargée de perpétuer en eux des valeurs capitales.

Il va s’agir pour les trois protagonistes d’accepter, avec humilité, les moments de silence. Ils vont devoir consentir à l’erreur, à l’attente comme progression mentale d’où peut jaillir des profondeurs de l’être, au moment opportun, une fulgurance qui leur permettra d’avancer vers un désir resté longtemps en sommeil et dépasser ainsi une paralysie pour entendre en eux les imperceptibles palpitations de la vie.

Trois « je », n’en font-ils pas qu’un ? En effet, derrière les trois personnages distincts, ne se révèle-t-il pas au lecteur une seule et unique héroïne, celle de l’écrivain, véritable narrateur, crypté de cette équipée ?

À la lecture des Chercheurs de lumière, nous avons l’impression de nous promener dans une exposition où chaque page se présente comme un tableau. Séverine Jouve écrit comme on peint, les yeux grands ouverts sur le moindre détail de l’espace que capte son regard acéré. Dans son écriture, l’auteur se sert de tous ses centres d’intérêt. Elle fait preuve d’une grande connaissance artistique que ce soit en arts plastiques, en poésie, en musique. Tous ses sens sont en éveil. Son écriture est à vif, tout à la fois sensuelle et sensible. Avec une grande maîtrise, elle jongle avec les contrastes, les ombres et les lumières, les plis et les drapés, les portes et les fenêtres. Elle tisse un réseau subtil de correspondances entre les êtres, entre les arts, entre le dehors et le dedans, entre le passé et le présent, entre le rêve et la réalité.

Dans ses descriptions, elle rend un vibrant hommage à la nature, à une ribambelle de fantômes qu’elle a aimés, à la création dans tous ses états. Le lecteur peut l’éprouver jusque dans son lexique hybride où tous ces champs sont imbriqués dans le choix de chaque terme, de chaque image, par un savant brouillage de ses mots.

Elle correspond à ce que vise Lucien Montaldo : être comme lui « un inlassable arpenteur, un chasseur d’invisible… qui assemble les mots pour transmettre aux lecteurs ses visitations ». Par le biais du souvenir, l’auteur atteste, de façon remarquable, le fait que résiste en nous la vibration de tous ceux que nous avons aimés, chéris et qui ne sont plus.

Cet écrit peut se lire comme un roman initiatique. En effet, les trois personnages principaux sont confrontés à une blessure que ce soit la mort, la séparation, la rupture ou l’abandon qui provoquent en eux un sentiment de doute, d’échec, d’embarras. Mais une rencontre inopinée avec un tableau, un lieu insolite ou un paysage, va les conduire à traverser une forêt touffue habitée de désespoir, d’incertitudes, d’errements et de renoncement pour finalement, au bout d’une longue quête, « progresser vers la lumière sous un ciel inclément ». Grâce à celle-ci, ils vont pouvoir voir clair en eux, « libérer leur sensibilité » « qu’il(s) s’efforçai(en)t tant de juguler… refusant l’émotion et la vulnérabilité », de rencontrer leur vérité intérieure et leur désir profond. De cette traversée, ils surgiront transformés à jamais.

Mais c’est aussi un hymne à l’enfantement d’une œuvre, une ode au poète-pédagogue, ce marcheur infatigable qui va mener l’enfant du cocon familial protecteur à la confrontation avec le monde dans toute sa complexité.

Et surtout, un hymne à la vie qui va et qui ne prend sens que s’il se matérialise dans un écrit qui permet de laisser trace d’un cheminement. Chacun pourra faire sien ce conseil donné à la narratrice principale par sa grand-mère Pauline : « Au-delà du désespoir, il y a toujours une harmonie à trouver».

Pouvons-nous quitter les rives de l’enfance sans un guide, un maître, un allié inconditionnel qui vous encourage à marcher vers vos demain ?

« Mon intention fut de relier les savoirs selon une optique bien précise. Seule une souple correspondance entre les disciplines et les genres pouvait me satisfaire… En pratiquant cette circulation libre entre les différentes cultures, je disais non à la clôture, aux idées si dangereusement arrêtées qu’elles se croient irréfutables… un lieu de réconciliation où l’on travaille à penser juste et loin », écrit encore, dans le cœur du livre, Lucien Montaldo à une de ses élèves et amie. Quel meilleur conseil pourrait-on donner à toute personne dont l’art est de transmettre ? Voilà, nous semble-t-il le dessein vers lequel devrait tendre toute éducation.

 

Pierrette Epsztein

 

Séverine Jouve est née en 1959 à Paris et vit à Florence depuis vingt ans. Elle est écrivain, plasticienne, journaliste et conférencière, spécialiste de la fin du dix-neuvième siècle. Elle a publié différents essais consacrés à l’esthétique « fin de siècle », dont Les Décadents, aux éditions Plon en 1989, et Obsessions et perversions, aux éditions Hermann (coll. Savoir) en 1996. Pour son premier roman, Lettres intérieures, paru en 1992 chez Balland, elle fut lauréate du Prix Villa Médicis hors-les-murs. Coauteure de différents livres d’art et collaboratrice dans diverses revues, elle se consacre désormais passionnément à la fiction.

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A propos du rédacteur

Pierrette Epsztein

 

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Rédactrice

Membre du comité de Rédaction

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d'édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset

 

Pierrette Epsztein vit à Paris. Elle est professeur de Lettres et d'Arts Plastiques. Elle a crée l'association Tisserands des Mots qui animait des ateliers d'écriture. Maintenant, elle accompagne des personnes dans leur projet d'écriture. Elle poursuit son chemin d'écriture depuis 1985.  Elle a publié trois recueils de nouvelles et un roman L'homme sans larmes (tous ouvrages  épuisés à ce jour). Elle écrit en ce moment un récit professionnel sur son expérience de professeur en banlieue.