Les cahiers d’un tueur, Gérald Grühn
Les cahiers d’un tueur, TDO Editions, format Poche 2014
Ecrivain(s): Gérald Grühn
Au départ, il y a une rencontre, celle de Thomas et de Thomas. Le premier (ou le deuxième) est un enfant avec des lunettes avec des verres comme des hublots, tenues par un gros élastique. Il partage sa vie entre son père et ses grands-parents. Le grand-père l’accompagne au bord du canal, le laissant pêcher alors que lui-même somnole sur un banc. Le deuxième (à moins que ce ne soit le premier) est un adulte à l’allure un peu bizarre : le crâne soigneusement rasé, ainsi que les bras, outre une réelle connaissance de la pêche, qui rapprochera les deux thomas, il a un métier caché, et pour cause : tueur à gages.
Thomas (le grand) a appris son métier dans les quartiers de Marseille, dont il a été amené à se retirer pour des raisons très professionnelles. Dans son genre, il est cependant parfait, ne laissant jamais derrière lui la moindre trace, variant consciencieusement les techniques employées, avec une méticulosité et une attention aux détails, mais aussi avec un détachement et une objectivité dépassionnée qui, malgré l’horreur qui peut exister dans ses actes, finit par susciter une certaine sympathie, pour ne pas dire l’inverse, une sympathie certaine, pour l’artisan soigneux qui conçoit ses contrats et exécutions avec l’humilité, la minutie et la maîtrise d’un ébéniste ou d’un joailler.
La mère de Thomas (le jeune) a disparu il y a des années, et son père est souvent ailleurs. Le lien entre les deux semble aussi fragile que l’incompréhension semble forte. Thomas est un grand lecteur, ainsi qu’un pêcheur avide d’apprentissage et d’aventure, d’amitié aussi car, un peu trop différent, il n’a pas vraiment de copains.
L’un et l’autre sont des solitaires et vont rapidement lier une amitié et une complicité grandissante, et exigeante. Un peu surpris de l’importance que prend son jeune homonyme, de la complicité joueuse et aventureuse qui se noue, Thomas (l’aîné) va ressentir le besoin d’ouvrir un journal qui lui permettra de faire le récit au jour le jour de cette belle rencontre, mais aussi de revisiter sa propre histoire, tant familiale que criminelle. Sans misérabilisme ni plainte, avec cette distance vaguement ironique qui est aussi la forme aboutie et discrète d’une grande pudeur, Thomas remonte le temps de la sombre histoire familiale et de l’école du crime, jusqu’à ce jour où les chemins des Thomas se sont croisés, libérant peu à peu les souvenirs comme les espoirs bâillonnés.
Dans un style efficace, sans fioritures inutiles, avec une légèreté qui est surtout bienveillance envers ses personnages, Gérald Grühn explore les ironies parfois bien malintentionnées du destin. Le pire et le meilleur sont toujours à venir, même si l’on n’est jamais bien sûr de celui que l’on éveille et de celui qui triomphera ou de la façon dont il sauront cohabiter. L’un comme l’autre ont sans doute le talent de révéler chacun à lui-même, secondés par l’écrivain, celui de la fiction comme celui du réel.
Indéniablement, il serait erroné de considérer Gérald Grühn comme un écrivain régionaliste, un écrivain de terroir de plus. La virtuosité de son écriture qui va droit au cœur du récit, sa façon incorrigiblement bienveillante et terriblement ironique de se pencher sur ses personnages, déborde selon nous sans difficulté une telle assignation de genre comme de talent ou d’envergure.
Marc Ossorguine
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