Les buveurs de lumière, Jenni Fagan
Les buveurs de lumière, août 2017, trad. anglais (Écosse) Céline Schwaller, 304 pages, 20 €
Ecrivain(s): Jenni Fagan Edition: Métailié
Si le contexte des buveurs de lumière est une dystopie – nous sommes en 2020 et la planète entière bascule dans une ère glaciaire –, ce qui nous est raconté est très intimiste et contraste nettement avec le chaos dans lequel plonge le monde. Bien que la plupart des personnages soient plus ou moins des marginaux, ils en ressortent surtout splendidement ordinaires, juste humains, avec peut-être un peu plus de courage, d’amour et de douceur que la norme, ce que les difficultés de la situation ne font que mettre en lumière.
Dans la petite communauté de Clachan Fells située au nord de l’Écosse, Stella et Constance, sa mère, vivent en caravane, dans un quartier de caravanes au pied des montagnes, entre des champs, une zone industrielle, une grande décharge et la mer. Quartier qui abrite une faune hétéroclite, star du porno, couple sataniste…, chacun vivant plus ou moins dans sa bulle sans déranger les autres et se débrouillant comme il peut. L’hiver est déjà habituellement rude dans la région, mais cette fois il est plus qu’hors norme. Les températures chutent peu à peu jusqu’à atteindre -56 au mois de mars, un immense iceberg dérive vers le port et la petite vie de l’agglomération est complètement chamboulée.
La situation est mondialement épouvantable mais à Clachan Fells la survie s’organise. Constance elle-même est une sorte de survivaliste, une femme libre, courageuse et débrouillarde, qui protège autant que possible sa fille Stella, son ex-petit garçon devenu une ado en pleine transition de genre, ce qu’acceptent mal les désormais anciens camarades de cette dernière, mais aussi son père, taxidermiste.
C’est dans ce quartier que débarque Dylan, après avoir hérité par surprise d’une des caravanes. Sa mère et sa grand-mère sont décédées l’une après l’autre, et il trimballe leurs cendres dans un tupperware et un pot à glace. Après avoir vécu toute sa vie à Londres, dans un petit cinéma d’art et d’essai de Soho, tenu par son aïeule et qui a été saisi à la mort de cette dernière, il est à la fois très malheureux et complètement paumé et ne comprend pas bien pourquoi sa mère avait acheté cette caravane au fin fond de l’Écosse, ni ce qu’elle pouvait bien y faire.
Stella va très vite lier connaissance avec lui, un nouveau venu n’étant pas de trop pour rompre son propre isolement et petit à petit, Dylan et Constance vont se rapprocher. Et dans ce bout du monde et cette atmosphère de fin du monde, petit à petit et goutte à goutte le bonheur se distille, comme le gin que Dylan se met à fabriquer comme le faisait sa grand-mère, pour tenir le coup et se réchauffer. Mais c’est surtout grâce à la chaleur du cœur et sans aucune prétention que la vie continue à tenir la mort, les mauvaises nouvelles, et le chagrin, à distance. Il n’y a rien d’extraordinaire dans Les buveurs de lumière, juste des gens simples, un peu rudes même, qui se débrouillent avec leur douleur, leurs fantômes et qui tiennent le coup avec du bric et du broc et beaucoup de tendresse. La vivacité, la force et l’humour féroce de Stella et l’amour absolu que mère et fille partagent, sont assez vastes pour y accueillir un grand gosse barbu et tatoué, vraiment très grand et d’autres encore, comme le vieux voisin Bernache. Entraide et solidarité, pas de vains mots, juste des évidences, des actes de survie que vient couronner la splendeur d’une aurore boréale.
Un roman idéal à lire en période de canicule, qui donne envie d’avoir froid pour pouvoir se blottir contre celles et ceux que l’on aime, étrangement beau, sans aucune fioriture mais chargé d’une poésie un peu sauvage, avec des personnages tranchés, entiers, des femmes fortes, des hommes doux, qui, dans la nuit de glace qui les envahit, apprennent à boire et partager la lumière.
Cathy Garcia
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