Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard (par Gilles Banderier)
Les Bourgeois de Calais, août 2021, 192 pages, 20 €
Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde
En principe, la postérité aurait dû oublier aussi complètement que possible le nom d’Omer Dewavrin (1837-1904). Maire de Calais de 1882 à 1885, puis encore à partir de mai 1892, il ne se montra ni plus remarquable, ni plus incompétent ou corrompu que la majorité des édiles. Seule l’érudition locale – et encore – devrait se souvenir de lui. L’histoire de Calais, précisément, intéressait Omer Dewavrin. Il savait qu’au commencement de la Guerre de Cent Ans, sa ville fut assiégée pendant près d’un an par les Anglais. Contrainte de se rendre, elle n’échappa aux meurtres, aux viols et au pillage qui suivaient invariablement toute reddition d’une cité que grâce à un marchand, Eustache de Saint-Pierre, volontaire pour déposer les clefs de la ville aux pieds du roi d’Angleterre. Cinq autres notables l’accompagnèrent vers ce qui apparaissait comme une mort certaine. L’épisode, qui se termina mieux qu’escompté, est raconté par Froissart. Souhaitant que sa ville rendît hommage à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons, et pas seulement en donnant leurs noms à des rues (ce qui présente le mérite de ne pas grever les finances), Dewavrin « monta » en 1884 à Paris afin de rencontrer un sculpteur dont on commençait à parler, bien qu’il ne fût plus tout jeune : Auguste Rodin.
Dans son dernier roman, Michel Bernard raconte le compagnonnage entre l’artiste et le premier magistrat calaisien, entre un homme à qui – comme tous les génies – les chefs-d’œuvre semblaient ne coûter aucun effort et un maire qui dut surmonter des difficultés sans nombre pour imposer la vision de cet artiste dont il était devenu l’admirateur et l’ami (Rodin fit d’ailleurs son buste) : non seulement la composition peu académique du groupe horrifia une bonne partie du conseil municipal, mais encore le coût financier de l’opération dépassa le devis initial, d’autant qu’entre la passation du marché et la livraison de l’œuvre, la ville avait encore dû affronter une épidémie de choléra (une maladie effacée de notre mémoire collective). Il n’y a évidemment aucun suspense dans ce roman, puisqu’on peut admirer douze exemplaires des Bourgeois, à Calais et Paris, bien entendu, mais également à Bâle, Pasadena, Tokyo ou Séoul. Il en va de ce roman comme d’une sculpture : ce n’est pas l’histoire proprement dite qui importe, mais la manière dont elle est traitée. Michel Bernard a choisi, pour décrire le bonheur de ces vies vouées à quelque chose qui transcende la fuite des jours (Rodin « avait l’orgueil d’avoir donné une existence dépassant la vie humaine à ce qui n’existait pas, d’avoir lutté avec l’invisible et de l’avoir amené au jour », p.125), la manière des grands maîtres du XIXe siècle.
Gilles Banderier
Michel Bernard est l’auteur de La Maison du docteur Laheurte (2009), Le Corps de la France (2010), Les Forêts de Ravel (2015).
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