Les Bourgeois, Alice Ferney
Les Bourgeois, août 2017, 350 pages, 22 €
Ecrivain(s): Alice Ferney Edition: Actes Sud
C’est l’histoire d’une famille, les Bourgeois, que retrace Alice Ferney dans son dernier roman, et à travers elle, celui de la fin du XIXe, du XXe et du début du XXIe siècle.
La présentation de la famille est accomplie par l’auteure d’une manière assez simple pour que le lecteur puisse se repérer en cours de lecture : ils sont les enfants d’Henri et de Mathilde, ils sont dix : huit garçons, deux filles, ils s’appellent Bourgeois, ont été tous baptisés dans l’Eglise catholique, ils se prénomment : Jules, Jean, Nicolas, André, Joseph, Louise, Jérôme, Claude, Guy, Marie. Ils sont nés entre une hécatombe, celle de 1914, et un génocide, celui de 1945.
A priori, le choix sociologique fait par Alice Ferney peut paraître peu convaincant à un électorat contemporain : un fragment de la bourgeoisie catholique, maurrassienne, conservatrice, étroitement localisée entre le boulevard Emile Augier dans le seizième arrondissement de Paris, et les allées du bois de Boulogne voisin, où la progéniture s’égaye. Les femmes n’y ont pour fonction et pour rôle social que d’être au service des autres, de reproduire l’espèce, de s’effacer devant la bienséance, de renoncer à tout, surtout à l’affirmation de leur propre personnalité.
On peine à croire à l’efficacité de l’hermétisme de cette famille qui se tient décidément à l’écart de tous, à s’identifier à elle. Pourtant Alice Ferney parvient à mettre en perspective les vies des membres de cette famille, en les mettant en scène à diverses périodes de l’histoire, parmi les plus agitées et les plus cruelles, celle des deux guerres mondiales. Il y a alors toute une réflexion développée sur la mémoire, la saisie sur-le-champ de la signification d’un événement : « Comme c’est vertigineux n’est-ce pas de coller ex post les événements remarquables les uns à la suite des autres et de connaître, puisque tout est consommé, ceux qui furent prémonitoires des drames qu’on a traversés (…) Appartenir à une époque, c’est être incapable d’en comprendre le sens ».
Autre illustration faite par Alice Ferney : celle de l’évolution des mœurs et leur impact sur la place de la femme dans la société. Ainsi, l’auteur imagine-t-elle les héroïnes de son roman potentiellement heureuses de nos jours, comme si le sort des individus dépendait grandement de l’époque où ils vivent. Nous ne pouvons que souscrire à ce jugement et Alice Ferney délivre dans ce beau roman une démonstration convaincante de ce lien : « Enseigner à l’Université, créer une entreprise ou publier des livres, choisir le nombre de ses enfants, profiter d’une péridurale ou d’une échographie n’existait pas encore quand vivaient Henri et Mathilde Bourgeois. L’espace matériel et temporel était autre, les gens agissaient autrement. Soyons certains qu’ils recélaient les potentialités que nous avons réalisées. Le féminisme politique et le raffinement de la connaissance du corps ont desserré l’étau patriarcal et nous nous en félicitons ».
C’est dit, et l’auteure nous rassure donc, coupant court à une impression de complaisance vis-à-vis de ce passé, par ailleurs bien décrit et évoqué avec une grande finesse.
Stéphane Bret
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