Les Boîtes aux lettres, Gilles Baum (par Ivanne Rialland)
Gilles Baum, Les Boîtes aux lettres, Amaterra, coll. « Argile+ », décembre 2022, 220 p., 13,90 euros.
Gilles Baum, déjà l’auteur de plusieurs albums illustrés, avait publié en 2019 chez l’éditeur lyonnais Amaterra un premier roman, La Nuit des géographes. Trois enfants, passionnés de géographie, y partaient à la découverte d’un pays inconnu : la nuit. Déjà, ce récit bref confrontait ses jeunes héros à la solitude et à l’absence du père qui sont au cœur du nouveau roman poétique et grave de Gilles Baum : Les Boîtes aux lettres.
Le texte, plus long, est plus ambitieux par son sujet comme par le traitement de celui-ci. Alors que l’absence du père du narrateur était effleurée dans La Nuit des géographes, elle est au centre des Boîtes aux lettres. Le héros, Émile, attend des nouvelles de son père qui a quitté la maison à la suite d’une dispute avec sa compagne, dont on comprend peu à peu les causes et le caractère violent. Émile, confiant dans la promesse faite par son père de revenir, pose des boîtes aux lettres dans des endroits incongrus, où il espère que son père pourra lui écrire – puisque sa mère, Maria, a rayé son nom de la boîte aux lettres familiale et ne veut plus entendre parler de lui.
La poésie et la séduction du livre reposent pour une bonne part sur cette trame narrative à la fois simple et fantaisiste : un petit garçon qui achète, l’une après l’autre, des boîtes aux lettres et les dépose dans la forêt, auprès d’un étang, dans un terrain de jeu. La boîte, chaque fois, se remplit, d’oiseaux, de lettres d’amour, d’images de football, détournée, certes, du but que lui assignait Émile, mais chaque fois assurant sa mission de boîte aux lettres en créant des rencontres et des liens. Puisque cela semble être cela, le sujet de Gilles Baum : la solitude des êtres et la manière aussi dont les enfants savent la déjouer.
Émile, petit garçon qui cherche désespérément son père, n’est lui-même pas tout à fait seul : il est entouré d’objets protecteurs, dont l’un, un coquillage des îles, assure la fonction de narrateur, et de l’amour d’adultes qui restent en retrait, eux-mêmes isolés et fragiles, mais qui n’en portent pas moins un regard bienveillant sur l’enfant. La quête de l’enfant, à la recherche des meilleurs emplacements pour ses boîtes aux lettres, est ainsi nimbée de magie par une animation discrète des objets familiers, la bicyclette, le coquillage, les clous même servant à fixer les boîtes, et doublée, comme en écho, par les cheminement des adultes : l’itinéraire du vigile Mojo depuis les îles, raconté en vers par le coquillage qu’il a chargé de veiller sur Émile, et les lettres du père, racontant les étapes d’un voyage qui ressemble autant à une fuite qu’à la recherche d’une rédemption. Ce dernier élément peut mettre mal à l’aise, dans la mesure où il tend à euphémiser un des thèmes du roman : la violence conjugale. Le retour final du père, toutefois, n’efface pas sa faute dans la mesure où le couple parental n’est pas reconstitué, même si le coup porté par le père tend à être excusé par le contexte social – la fermeture de l’usine où il travaillait. La fin n’est peut-être pas complètement satisfaisante, mais il aurait été par trop cruel de laisser Émile sillonner sans fin les chemins sur sa bicyclette. Le récit, quoi qu’il en soit, réussit à créer une atmosphère poétique à la fois poignante et tendre, tout à fait singulière, portée par la fantaisie d’une langue fraîche et sonore, qui nous fait entendre les cliquetis et grincements joyeux de la bicyclette Rosie et donne l’envie d’imiter Émile en posant nous aussi des boîtes aux lettres dans les endroits qu’ont hantés les êtres qui nous sont chers.
Ivanne Rialland
Gilles Baum est professeur des écoles. Il est l’auteur de plusieurs albums jeunesse, la plupart en collaborateur avec Thierry Dedieu. Son premier roman, La Nuit des géographes, est paru, en 2019 chez Amaterra. Il vit en Alsace.
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