Les best-sellers sont une menace contre la liberté du lecteur et de l’écrivain (par Amin Zaoui)
De plus en plus, l’étau se resserre autour du lecteur. De plus en plus, la littérature est étouffée par le marketing d’un côté et encerclée par les médias de l’autre. L’imaginaire de l’écrivain est, tout comme celui du lecteur, visé, perturbé. La liberté individuelle créative se perd, de plus en plus, dans la précipitation chaotique. Le phénomène du best-seller est une menace contre la diversité littéraire. Plusieurs beaux romans sont anéantis, jetés aux oubliettes devant la farce d’un best-seller.
Sans doute parmi ces milliers de romans marginalisés, condamnés et exécutés à l’aide d’un revolver médiatique silencieux, il existe des perles littéraires. La sentence est tombée avant même qu’ils ne soient lus. Inconsciemment, le phénomène du best-seller pèse sur la liberté de la lecture individuelle. Charge la liberté de l’écrivain.
Dans ce phénomène du best-seller, ce sont de parfaits inconnus qui lisent à notre place. Ce sont des inconnus qui choisissent pour nous les livres que nous lisons. À leur goût, ils bannissent des titres et en glorifient d’autres. Ces inconnus, qui font la pluie et le beau temps dans la littérature, s’offrent la place du magistrat suprême et notent les écrivains. Classent les hommes de livre. Les vedettes, les bons, les brutes, les truands, les moins bons, les moyens et les médiocres. Les vendus, les existants, les invendus et les inexistants.
À chaque rentrée littéraire, on assiste à un massacre contre des centaines d’écrivains, d’êtres fragiles. On brûle des livres et leurs auteurs sans fumée et sans bruit. Un autodafé qui ne dit pas son nom.
Les lecteurs sont pris en otage. Les faiseurs de best-sellers entravent la liberté du lectorat. En faisant le bonheur de quelques-uns, écrivains et éditeurs, cette force magique et diabolique crée le malheur du lecteur. Le lecteur lit ce qui est apprécié et conseillé, plutôt imposé, par les faiseurs de best-sellers.
À chaque rentrée littéraire, en automne, en hiver ou en été, les maisons d’édition proposent aux lecteurs des centaines de titres, toutes sensibilités esthétiques et philosophiques confondues, mais les maîtres proclamés de la scène littéraire passent l’éponge sur les uns et mettent en valeur les autres, quelques-uns ! Le phénomène du best-seller, ce tamis littéraire diabolique, ne se contente pas uniquement de la chose commerciale, du gain matériel et du tirage conséquent : son but, plus dangereux, est la création d’un lecteur fainéant, domestiqué et formaté. Cette sentence arbitraire sélective du best-seller, dicte et impose aux champs littéraires, médiatiques et universitaires son propre procédé de classement des belles lettres. Une méthode qui régente l’écriture et les écrivains. Et, par-dessus tout, la critique littéraire universitaire et culturelle.
À travers un matraquage médiatique méthodique, orchestré par le pouvoir du marché du livre, les méfaits du best-seller ne se limitent pas au nombre de tirages d’un titre mais impactent dangereusement l’imaginaire du lecteur.
Par son poids socioculturel, le best-seller installe une standardisation du rêve de toute une société, de toute une génération. Les citoyens, fascinés par les best-sellers, rêvent de la même façon, aiment de la même manière, ressentent la langue avec la même énergie, exercent la politique de la même façon.
On ne standardise pas uniquement les entreprises et les villes, mais aussi et avant tout les femmes et les hommes vivant de ces espaces urbains. Pour une standardisation sociétale bien ficelée, le phénomène du best-seller commence par l’occupation des rêves du lecteur et la fabrication de ses désirs imaginaires. Tout cela est possible par la prescription d’une nourriture intellectuelle fictionnelle bien ciblée.
Un lecteur formaté.
Dans quelques années, par le phénomène grandissant et menaçant du best-seller nous nous trouverons face à une génération intellectuellement clonée. Même pensée. Même sentiment. Même reflexe. Même analyse. Même comportement. Même art de vivre. Plus de diversité. Plus de contradiction positive. Plus de doute. Plus de questionnement. Place à la certitude, à l’idiotie, à la fainéantise. Le best-seller, par son hégémonie socioculturelle, tente de formater l’écrivain en tant que centralité de toute créativité textuelle. Par la pseudo-fascination sous-littéraire créée autour des best-sellers, les faiseurs de littérature et de littérateurs imposent inconsciemment un style d’écriture. Ordonnent une forme de création. Ils assassinent la différence, la pluralité, l’audace littéraire et le sens de l’aventure thématique dans le roman. Encerclé par les faiseurs de best-sellers, l’écrivain, au moment de l’écriture, consciemment ou inconsciemment, se trouve embastillé dans un modèle d’écriture. En écrivant, il est soumis à la voix assourdissante des best-sellers. L’écrivain se trouve dépossédé de son intelligence littéraire. En somme, les faiseurs des best-sellers sont soutenus par une junte de rédacteurs littéraires, consciemment ou inconsciemment, qui essayent de faire entrer tous les textes dans le même moule littéraire. Comme un Moulinex, ils malaxent, moulent, pétrissent afin de reproduire l’image d’un best-seller. La même recette, le même feu, la même langue. La même bêtise littéraire.
Amin Zaoui
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