Les années à rebours, Nadia Terranova
Les années à rebours (Gli anni al contrario), octobre 2016, trad. italien Romane Lafore, 176 pages, 18 €
Ecrivain(s): Nadia Terranova Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)
Ce roman – un premier roman – brosse avec talent et acuité deux décennies de l’histoire italienne : les fameuses années 70 et les désillusions des années 80.
Fin des années soixante-dix, Aurora et Giovanni se rencontrent à l’université. Tous deux Siciliens mais de familles au destin politique opposé, vont éprouver leur nouvelle liberté. Ouvertement de gauche et rebelle, Giovanni s’engage politiquement, bien vite déçu par lui-même. Le couple a une petite fille, Mara. Les mois et les années s’écoulent. Pour tromper son désenchantement politique, Giovanni se drogue, et Aurora se débrouille seule.
L’épilogue, amer, est bien dans le droit fil d’une intrigue qui voit évoluer les personnages, au fil des années et des changements de société.
Sans jamais verser dans un quelconque didactisme, le roman réussit, au-delà de ses implications psychologiques et familiales, à restituer des années lourdes et empoisonnées de périls. Années de plomb, années « à rebours » comme si les vivre induisait leur propre négation. Giovanni et Aurora, sur des pistes différentes, apprivoisent l’âge adulte et ses difficultés. Le lourd tribut familial – opinions politiques et ancrage sociétal – ne ménage guère ce jeune couple, désorienté, tout en étant volontariste.
Par petites touches, la romancière éclaire ce pan sombre de l’histoire italienne, individualise fortement des destins marqués au sceau terrible des engagements. Giovanni est à la fois le héraut d’une jeunesse sans illusions et la victime d’une société qui change sans apporter les solutions attendues.
Le portrait saisissant des protagonistes, englués dans l’histoire, révèle combien la famille, le réseau amical, sont fragiles et déstabilisateurs.
Le style, sobre, est à l’avenant des thèmes. L’écriture, précise et nette, dévoile bien les enjeux et les ressorts d’une histoire qui, pour s’être libérée, s’est de nouveau refermée sur elle-même. On n’échappe pas à son destin. Le lecteur mesure alors les années parcourues et la vaillance de ces êtres de combat qui n’ont pas supporté de démériter un jour.
Un beau livre, poignant et réaliste, qui joue de l’histoire sans jamais l’effacer, qui énonce plus qu’il ne dénonce, laissant le lecteur seul juge des analyses et pistes proposées.
Philippe Leuckx
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