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Les anges nous jugeront, Emmanuel Moses (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère 12.09.18 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Les éditions du Rocher

Les anges nous jugeront, septembre 2018, 136 pages, 15 €

Ecrivain(s): Emmanuel Moses Edition: Les éditions du Rocher

Les anges nous jugeront, Emmanuel Moses (par Carole Darricarrère)

 

« C’était une nuit d’automne et elle déversait sur la terre, sur ce point infime d’une planète infime, toute l’eau et tout le vent qui avaient conflué en elle (…) ».

Au croisement de l’infiniment petit (l’Homme) et de l’infiniment grand (la Nature), on s’enfonce dans ce récit comme dans un terreau bourgeois, en citadin frileux amateur de grands espaces, en poseur de chevalet s’absorbant à la faveur du plus petit dénominateur commun dans la contemplation shakespearienne d’un tableau biblique jusqu’à en traverser, à ses risques et périls, les plus pénétrants détails.

C’est dans un style chantourné qui ne déteste pas le phrasé d’élection des longues laques de belle facture qu’Emmanuel Moses, grand paysagiste à la lettre et maître de cérémonie du crescendo dramatique quasiment en mode pause, installe en sondeur de solitudes ses nappes plein vent et dresse avec un plaisir manifeste le couvert pour une crèche improvisée de cinq dans laquelle l’enfant tient lieu de modérateur et l’âne de clap final.

Huis clos d’un théâtre d’ombres dans lequel « les rencontres escomptées, qui vous empêchaient de dormir des semaines durant, n’(ont) pas lieu et celles que vous n’imaginiez pas, auxquelles vous ne pouviez même pas penser, se produis(ent) », « corridor (mental) menant de la perception à la compréhension », étau de terre ferme, filet de feu de l’étroitesse, vacillante cire, oscillant sillon d’une flamme de ténèbres alentie consumant ici à petit feu cinq protagonistes tirés par le sort de leurs songes dérisoires que rien, hormis la littérature, ne prédisposait à faire se rencontrer.

Par ordre d’apparition, Yves, quadra solitaire et sensible, paysan discret de son état établi dans la fidélité au père ; Eugénie et Frédéric, couple illicite de théâtreux bobos jouant leur vie aux dés à chaque phrase – elle, tanagra de sa quarantaine mature, œuvre au noir de sa robe rouge vif à col de fourrure et poignets d’albâtre, traits sculptés de neige, lui la cinquantaine facétieuse bien frappée quoiqu’un peu flasque, auteur et coq récitant « à qui la présence d’un public, aussi limité qu’il soit, était aussi nécessaire que l’oxygène pour le cerveau » – ; face à eux, le brocanteur Armand et sa fille Miranda, pater aimant d’une délicate princesse aux cheveux d’ange « par qui survient la réalité », cœur complice de quelque conte citadin aussi improbable qu’un rêve, « une histoire plausible et insensée à la fois » dont la littérature rêve de faire une œuvre d’art. Emmanuel Moses excelle à lever un à un les voiles, dénudant en grand partage de différences chacun de ces « aveugles condamnés, par nécessité, par une solidarité due aux circonstances, à avoir momentanément foi les uns dans les autres ».

De piège à souris en prostrations et en apparitions-disparitions, tous les éléments d’un conte et forces références figurent dans ce récit : le radeau boisé de la Méduse, île-cabane des déluges, les barrières du langage foulées aux pieds par jonchées de vieux journaux triturés d’antique poussière, l’oracle d’un innocent sommeil émaillé d’instants de vérité, la nuit, le brouillard, la tentation « térébrante » de la peur dans une arborescence de monologues intérieurs dévoilant en miroir les uns des autres les ors et les ombres de la psyché humaine toute pétrie de respectabilité et sertie de certitudes, tour d’ivoire de la bonne opinion de soi, jeu de dupes, maison dieu de la chute, tonnerre de petites morts prétextes à de grandes révélations : le bien, le mal et le miracle, recette infaillible des plus impérissables monuments de langage.

C’est à des échelles de distance infranchissables qu’« arraché(s) à l’illimité » nous nous accommodons les uns des autres sans jamais vraiment nous accorder. Les anges nous le pardonneront-ils ? Sans doute est-ce là leur vocation – la nôtre étant de juger –, d’ici-là bas les masques : c’est depuis l’addition sourde d’un supplément muet de solitude indissociable du vivre ensemble qui élève l’instinct de détresse au rang d’accélérateur de croissance, qu’Emmanuel Moses, avec une lucidité douce-amère sans illusions, de loin nous écrit.

 

Carole Darricarrère

 


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A propos de l'écrivain

Emmanuel Moses

 

Emmanuel Moses est un écrivain français (poète, traducteur, romancier) né à Casablanca en 1959.

 

A propos du rédacteur

Carole Darricarrère

 

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Carole Darricarrère est née en 1959 en Afrique où elle a grandi. Elle est l’auteure de nombreux livres de poésie. Son travail oscille entre différents vortex d’écriture embrassant dans un même élan la littérature et la photographie d’auteur ou encore la création radiophonique.

 

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